Revenue en bonnes grâces via Corps et Ame, Ours d’or au Festival de Berlin en 2016, dans le classement cinéphilique, après une éclipse de presque trente ans, Idliko Enyedi, cinéaste hongroise, surprend en se lançant dans l’adaptation d’une fresque littéraire de Milán Füst, la description au long cours du mariage mouvementé d’un capitaine de navire et d’une jeune Française. L’Histoire de ma femme lui permet de revenir sur la complexité des rapports homme-femme, en y ajoutant le sel de la jalousie qui vient assombrir des relations sentimentales évanescentes.
Revenant à terre après un long voyage en mer, le capitaine Jacob Störr fait un pari audacieux, accoudé à la table d’un café avec un ami proche : il demandera en mariage la première femme à passer le pas de la porte. Entre alors Lizzie, jeune blonde française insaissisable douée de charme et d’humour. Réunis par le hasard, les deux compagnons de galère embarquent à bord d’un mariage houleux, raconté en sept parties.
L’Histoire de ma femme permet à Idliko Enyedi de revenir sur la complexité des rapports homme-femme, en y ajoutant le sel de la jalousie qui vient assombrir des relations sentimentales évanescentes.
Impossible de ne pas penser à Proust et à cette description clinique de la jalousie qui va tourmenter Swann puis le Narrateur face à la femme aimée. Ces personnages, tout comme le capitaine Jacob Störr, vont se trouver devant un mur d’opacité qui les renverra à leurs propres interrogations et au spectre de leur jalousie. Alors que dans Corps et Ame, Idliko Enyedi s’attachait à des personnes faites l’une pour l’autre et qui tentaient d’échapper à leur destin commun, c’est un peu la situation contraire que présente L’Histoire de ma femme : deux êtres que rien ne réunit a priori, hormis la réussite d’un pari lancé comme un défi au hasard. Comme dans A la recherche du temps perdu, le point de vue sera uniquement masculin, la femme étant observée comme un mystère insondable. Dans le rôle de Lizzie, Léa Seydoux joue de son mystère naturel, pouvant d’un plan à l’autre paraître une redoutable femme fatale ou bien un sphinx sans secret. Si certains pouvaient douter à tort de ses capacités d’actrice, son tir groupé cannois (France, The French Dispatch, Tromperie, L’Histoire de ma femme) devrait dessiller les yeux de beaucoup ; il s’agit bien d’une des meilleures actrices françaises contemporaines qui s’emparent de l’âme d’un film, bien plus rapidement que l’idée en a été énoncée.
Face à ce type de film d’auteur qui s’affiche ouvertement comme une reconstitution historique et romanesque, deux réactions s’avèrent possibles : 1) rester en-dehors du film et en réprouver le supposé académisme ; 2) tomber sous le charme et se trouver complètement fasciné par ce jeu de dupes entre un mari et une femme, qui ne cesseront de se perdre, de se retrouver ou de se déchirer. Certes L’Histoire de ma femme, – on n’a cessé de le répéter, en particulier à Cannes, où il a pu engendrer bien des sommeils coupables – est bien trop long, faisant peser ses 2h49. Mais si l’on y réfléchit bien, il ne l’est guère plus que bien des films dépassant allégrement les deux heures et demie, surtout dans les récents soi-disant blockbusters hollywoodiens qui possèdent nettement moins de substance.
Car, pour décrire les abîmes d’une passion, il paraît indispensable de se perdre pour mieux se retrouver. C’est bien le cas dans L’Histoire de ma femme, où l’on perd parfois de vue le film, pour le retrouver nous plongeant un poignard en plein coeur, tant les affects sentimentaux et romantiques sont bien décrits, au-delà de la justesse et de la cruauté. L’admiration point même le bout de son nez lorsque Idliko Enyedi, d’un point de vue plastique, réussit des plans somptueux sur une mer déchaînée ou des baleines en apesanteur, images métaphoriques de l’amour-passion qu’elle circonscrit au plus près.
RÉALISATEUR : Ildiko Enyedi NATIONALITÉ : Hongroise, Allemande, Italienne, Française AVEC : Gijs Naber, Léa Seydoux, Louis Garrel GENRE : Drame, Historique, Romance DURÉE : 2h49 DISTRIBUTEUR : Pyramide Distribution SORTIE LE 16 mars 2022