Le Deuxième Acte : la réalité, c’est la réalité

Et de trois : après Yannick en août dernier et Daaaaaali ! en février, le prolifique cinéaste Quentin Dupieux ouvre la 77ème édition du Festival de Cannes avec Le Deuxième Acte. Souvent comparé à Jean-Pierre Mocky, « l’Oizo » fonctionne à plein régime. Attention toutefois, l’excès a ses limites. Alors que le monde flambe et que l’iceberg s’approche, comme le dit l’anxieux Vincent Lindon dans une diatribe emportée, les artistes continuent de jouer, les réalisateurs de tourner, et ce que le Titanic coule ou non. Depuis plusieurs films maintenant, la fête est moins folle chez Dupieux, le non-sens et l’absurdité s’effacent lentement et s’adaptent aux nouvelles préoccupations du réalisateur : le temps qui passe dans Incroyable mais vrai, la mélancolie face à la fin d’une époque dans Fumer fait tousser. La constante de son cinéma, c’est le récit enchâssé : Le Deuxième Acte ne déroge pas à la règle. Une satire certes contemporaine, mais un brin artificielle sur les affres du métier de comédien.

Une voiture arrive lentement devant un restaurant perdu au milieu de nulle part. Un instant plus tard, la devanture de l’établissement s’illumine : Le Deuxième Acte, ouvert 7 jours sur 7. Florence souhaite présenter son père, Guillaume, à David, dont elle est amoureuse. David, qui ne la supporte plus, veut lui présenter son ami Willy à Florence.

La trame est convenue, on baigne clairement dans les mauvaises productions télévisuelles. S’amuser des genres cinématographiques, c’est une spécialité du cinéaste : le film d’horreur sanglant avec Le Daim ou le cinéma de Bertrand Blier avec Au Poste. Evidemment, le récit n’est qu’un prétexte, seul son dynamitage compte. Un peu à la manière de Daaaaaali ! et de son interminable scène de marche, ici le verbiage s’accompagne d’une mise en scène continue : durant un long travelling, on découvre les quatre personnages rejoindre le restaurant. D’un côté, on parle de la cancel culture, de l’autre de la place du comédien face à un monde qui s’écroule. La caméra tourne, sans contrainte, au milieu de rien. Si la scène est fluide, le texte, lui, se déconstruit au fur et à mesure : les rôles se décomposent, les deux amis deviennent deux acteurs soucieux. le père et la fille disparaissent. Le Deuxième Acte brise le quatrième mur. Comme dans Rubber ou Non-Film, le film questionne le cinéma. Un regard critique sur ceux qui apparaissent devant la caméra, les acteurs, et ceux qui regardent les œuvres, les spectateurs. Un sujet hautement actuel, à l’heure du mouvement MeToo, des nouvelles boussoles morales et des débats sur l’avenir du cinéma. Fourre-tout, le récit tente de capter l’air du temps, mais ne politise pas grand-chose : tout est sujet à rire, surtout ce qui fâche. L’homophobie, les discriminations, le harcèlement, toutes les dérives passent dans le viseur du cinéaste, plus bavard qu’à l’habitude. La subtilité n’est pas à l’ordre du jour, le trait se veut volontairement grossier, caricatural. Au milieu de nulle part, les égos se battent… en vain ? Le film ouvre des pistes sans relâche, mais sans vraiment les explorer.

Le Deuxième Acte brise le quatrième mur. Comme dans Rubber ou Non-Film, le film questionne le cinéma. Un regard critique sur ceux qui apparaissent devant la caméra, les acteurs, et ceux qui regardent les œuvres, les spectateurs.

Ecrit et tourné par une intelligence artificielle qui monte et reconstruit comme bon lui semble tout ce qui est capté (les voix, les corps, le sens des scènes), le film n’est finalement qu’un produit, évalué avec des algorithmes par une application sans affect. Les masques tombent, un troisième visage apparaît : est-ce une manière de distinguer l’artiste de l’homme ou simplement un troisième personnage ? Est-ce que le tournage est véritablement terminé ? La fausse moustache de Vincent Lindon, le renversement des discours, une nouvelle partition se joue : celle qui paraît la plus fausse et pourtant, la plus vraie ? Tout paraît insaisissable, sauf le figurant. L’essentiel n’est peut-être dans tout ce déluge de mauvais esprit, mais dans celui qui n’est que de passage, qui gravite autour des célébrités : le figurant, qui a ouvert le restaurant et tenté maladroitement, sous l’emprise du stress, de servir du vin… pour finir lui-même en flaque de vin dans sa voiture. En rentrant chez lui, il répète une nouvelle fois la scène, donnant au film une allure tragi-comique. Plus tôt, le réalisateur est questionné sur le rôle du figurant, sur son histoire, car sa réaction paraît excessive. Sa réponse est définitive : il est inutile de discuter ses choix, il est maître de son récit. La fiction, c’est la fiction, et la réalité, « c’est la réalité ». Peut-on tout dire au cinéma sous couvert de fiction ? De toute manière, « on ne peut plus rien dire »… alors autant filmer des rails, pour la beauté du geste, loin de l’entre-soi et des polémiques.

2.5

RÉALISATEUR : Quentin Dupieux 
NATIONALITÉ : France
GENRE : Comédie
AVEC : Léa Seydoux, Vincent Lindon, Louis Garrel, Raphaël Quenard
DURÉE : 1h20
DISTRIBUTEUR : Diaphana Films
SORTIE LE 15 mai 2024