Les Chroniques de Pierre : Daaaaaalí ! ou l’art surréaliste du mouvement statique

Canne à la main, l’artiste à la moustache légendaire apparaît dans le couloir : il marche et parle, encore et encore, jusqu’à plus soif de lui-même, jusqu’à mourir de soif. Dans cet espace au temps coulant, aussi jouissif qu’interminable, l’homme fait du surplace un art du mouvement. Dans Daaaaaalí ! de Quentin Dupieux, tout bouge un peu vainement, tout est désir : de faire (une interview), de plaire (au public), d’exister (toujours). Ce couloir s’apparente à une fuite en avant où rien ne s’imprime, ni mémoire, ni moment, une vie comme un long rêve éveillé ou un monologue sans fin. Comme cette eau qui s’échappe d’un piano fantasque, le temps s’écoule, fuit, dans le grand ba(ss)in de la vie. Un mouvement à marche forcée, à l’image de cette voiture « aristocratique » qui, bon gré mal gré, fait son chemin sur une plage au sable mouvant. On s’enfonce, on s’enlise, malgré la contrainte, il faut avancer. Implacable, le temps, linéaire ou non, rattrape toujours l’artiste aux visages certes multiples, mais à la personnalité unique. Une œuvre persistante et brisée pensée autour de la répétition, à commencer par son titre avec ses six A et sa musique lancinante et statique.

Dans cet espace au temps coulant, aussi jouissif qu’interminable, l’homme fait du surplace un art du mouvement.

Et derrière cet absurde non-portrait de Dali, réduit à sa dimension médiatique, un autre artiste, Quentin Dupieux, lui aussi protéiforme. Musicien curieux un jour, doué pour l’improbable, cinéaste surréaliste le lendemain, plus intéressé par la pensée que la raison. Dans le film, le peintre s’exprime un jour avec un pinceau, le lendemain avec une caméra, tout en restant fidèle à lui-même. Quelque part, il y a l’idée de faire pour défaire : Quentin Dupieux enchaine les films et laisse derrière lui son alter égo Mr Oizo préférant les musiques originales ou non d’autres artistes (Thomas Bangalter en l’occurrence). D’un art à un autre, d’un métier à un autre (de pharmacienne à journaliste pour le personnage de Judith), avec un bagage de doute et l’envie, le désir, la spontanéité, comme source de tout. Pour revenir à ce piano fantasque qui introduit Daaaaaalí !, plus que le temps, il paraît aussi évoquer l’écoulement des idées : d’un artiste à un autre, d’une référence à une autre. Une manière, peut-être, de rendre hommage aux artistes surréalistes, non sans absurdité.

La répétition est une véritable clé de voute du cinéma de Dupieux, et Daaaaaalí !, toujours en décalage, en fait son cœur battant. Quitte à marcher, comme le peintre insaisissable, dans un couloir sans fin, à passer d’une télévision à une autre, à descendre dans un conduit temporel (Incroyable mais vrai), à attendre un changement d’époque (Fumer fait tousser) ou à se perdre dans le temps (Réalité), jusqu’à plus soif.