Déménagement : un récit initiatique à hauteur d’enfant bouleversant.

Présenté en 1993 au Festival de Cannes dans la section Un Certain regard, Déménagement n’en restait pas moins inédit en France et avait eu peu d’échos au Japon. Sa sortie, trente ans après, constitue donc un événement majeur. Surtout parce que le long métrage est formidable et permet de mettre en avant un cinéaste, Shinji Somai, décédé en 2001. Numérisée en 4K, restaurée en 2023 sous la supervision de son chef opérateur Toyomichi Kurita, et présentée à la Mostra de Venise, en première mondiale, en septembre dernier, cette version est présentée en salle grâce à la volonté d’un distributeur français, Survivance.

Ce qui fascine d’abord le spectateur, ce sont les choix de mise en scène opérés par Somai ainsi que le point de vue qu’il adopte.

Le film met en avant une jeune fille, Ren, dont les parents viennent de divorcer. Son père déménage, et elle doit s’adapter à cette nouvelle vie voulue par les adultes. Révoltée contre le monde des grandes personnes qu’elle interroge avec clairvoyance, elle devra apprendre à grandir et à se réconcilier avec eux au cours d’un cheminement qui l’amènera aux confins de la réalité.

On retrouve là une figure et un schéma classiques du cinéma de genre : l’insouciance et l’innocence de l’enfance qui se heurtent à la dureté du monde des adultes, l’envie de s’en écarter par la rencontre avec un autre protagoniste (ici un petit camarade) dans ce qui s’apparente à une relation amicale ou plus, avant que ne vienne sonner le temps de la révolte

Ce qui fascine d’abord le spectateur, ce sont les choix de mise en scène opérés par Somai ainsi que le point de vue qu’il adopte. Celui de Ren, le personnage central du récit. Par de magnifiques plans-séquences qui laissent le temps aux personnages d’exister, de vivre littéralement, la caméra suit constamment la petite fille, ne l’abandonne jamais. A ce titre, la scène d’ouverture réunissant les protagonistes à table n’est que le signe d’une illusion (celle de l’unité familiale supposée), cédant vite la place au thème de la rupture. Celle entre l’homme et la femme, le père et la mère, très mal vécue par Ren, qui ne l’accepte pas car elle la trouve forcément injuste. Elle ne peut rien y faire. On retrouve là une figure et un schéma classiques du cinéma de genre : l’insouciance et l’innocence de l’enfance qui se heurtent à la dureté du monde des adultes, l’envie de s’en écarter par la rencontre avec un autre protagoniste (ici un petit camarade) dans ce qui s’apparente à une relation amicale ou plus, avant que ne vienne sonner le temps de la révolte. On peut citer ainsi de nombreux films plus anciens fonctionnant sur un canevas similaire mais indiscutablement on pense également à un autre cinéaste japonais très apprécié en Occident, Hirokazu Kore-eda. On mesure pleinement ce que doit le réalisateur d’Une Affaire de famille (Palme d’or en 2018) ou plus récemment de L’Innocence (Prix du scénario au dernier Festival de Cannes) à celui qu’il considère comme le plus grand cinéaste de sa génération.

Mais c’est notamment dans sa deuxième partie, surtout le dernier tiers, que le film éblouit et gagne son galon de film majeur, pour ne pas dire de chef-d’œuvre.

Mais c’est notamment dans sa deuxième partie, surtout le dernier tiers, que le film éblouit et gagne son galon de film majeur, pour ne pas dire de chef-d’œuvre. Si l’œuvre de Somai est réaliste, une séquence onirique, métaphorique, à la lisière du fantastique, étonne et subjugue en même temps : sur une plage, Ren se réveille et constate qu’un bateau, dans lequel se trouvent toutes les personnes faisant partie de sa vie, est en train de couler face à elle. Alors que tous semblent dériver vers le large sur des embarcations de fortune, elle crie au revoir désespérément, jusqu’à enlacer son propre double. Le recours au rêve et au sens qui en découle (constater le désastre que constitue le divorce de ses parents mais aussi accepter ce qui lui arrive et se tourner vers l’avenir) est une excellente idée, très belle et bouleversante. Il est alors bien difficile de retenir ses larmes, il faut bien l’avouer. Symboliquement, Ren quitte le monde de l’enfance et entre, sans doute de manière précoce, dans celui des adultes. Déménagement constitue donc un magnifique récit d’initiation, à hauteur d’enfant, sans que le réalisateur ne tombe dans le pathos ou le misérabilisme, ce qui n’est pas la moindre des qualités de cette œuvre sensible et cruelle, triste et pleine d’entrain à la fois. C’est cet aspect en demi-teinte que l’on retrouvera dans les meilleurs longs métrages de Kore-eda, digne héritier de Somai.

Par petites touches virtuoses, simplement (mais jamais de manière simpliste), Déménagement est d’une grande justesse dans sa peinture des rapports familiaux. Il est d’autant plus surprenant qu’une telle œuvre ait été mise de côté, quasiment snobée, ne bénéficiant d’aucune sortie en salles juste après sa présentation cannoise. Saluons donc comme il se doit l’initiative de Survivance et courez voir cette merveille.

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RÉALISATEUR : Shinji Sōmai
NATIONALITÉ : Japonaise
GENRE : Drame
AVEC : Tomoko Tabata, Kiichi Nakai, Junko Sakurada
DURÉE : 2h04
DISTRIBUTEUR : Survivance
SORTIE LE 25 octobre 2023 (production 1993)