L’Innocence : le mal-être adolescent selon Kore-eda

Habitué du Festival de Cannes (c’est sa huitième sélection), Kore-eda propose avec L’Innocence une nouvelle variation subtile de sa chronique de la société nippone, fil conducteur de toute sa filmographie et dont la consécration fut la Palme d’or obtenue pour le sublime Une affaire de famille en 2018. Après Les Bonnes étoiles, dont l’action se déroulait en Corée du Sud, le cinéaste japonais revient dans son pays natal et livre une œuvre remarquable, bien plus complexe qu’il n’y paraît.

Après Les Bonnes étoiles, dont l’action se déroulait en Corée du Sud, le cinéaste japonais revient dans son pays natal et livre une œuvre remarquable, bien plus complexe qu’il n’y paraît

L’Innocence débute par un incendie dans un immeuble. Minato, 12 ans, et sa mère habitant en face, en sont les témoins. Très vite, le comportement du jeune garçon devient préoccupant. Sa mère, qui l’élève seule depuis la mort de son époux, décide de confronter l’équipe éducative de l’école de son fils. Tout semble désigner son professeur comme responsable. Mais au fur et à mesure que l’histoire se déroule à travers les yeux de la mère, du professeur et de l’enfant, la vérité se révèle bien plus complexe et nuancée que ce que chacun avait anticipé au départ.

Avec élégance et par le biais d’une construction en trois actes, Kore-eda aborde une fois encore le monde de l’enfance, à travers les tourments d’un adolescent et des adultes qui l’entourent. Il le fait en multipliant les points de vue, donnant ainsi une épaisseur bienvenue à son cinéma

Avec élégance et par le biais d’une construction en trois actes, Kore-eda aborde une fois encore le monde de l’enfance, à travers les tourments d’un adolescent et des adultes qui l’entourent. Il le fait en multipliant les points de vue, donnant ainsi une épaisseur bienvenue à son cinéma. La scène pivot, celle qui annonce les changements d’optiques, est celle de cet immeuble en feu. Le spectateur comprend par ce procédé que l’on revient à la scène de départ, et bascule dans une autre perspective. La première partie se situe du côté de la mère du jeune garçon qui essaye de gérer et de comprendre les troubles dont est victime son fils. Le spectateur se pose de nombreuses questions : cet adolescent est-il harcelé, maltraité par l’un de ses professeurs ou est-il violent lui-même et donc harceleur ? Pour tenter de trouver une réponse, la mère se rend à plusieurs reprises à l’école. On y découvre un personnel étrange, et l’on est persuadé d’assister à un film qui dénonce l’indifférence de l’institution et la souffrance des écoliers. La deuxième partie prend alors le contre-champ et choisit de se focaliser sur l’enseignant qui semblait antipathique, mais qui finit par perdre pied face aux accusations et à la rumeur. Enfin, le dernier tiers du long métrage épouse le point de vue de l’adolescent, Minato. C’est ce segment qui contient le cœur du film, l’exposé des raisons des dérèglements observés et que Kore-eda a choisi de retarder, prouvant toute sa maîtrise.

Ces récits se succèdent et s’entremêlent, et finissent par brouiller la perception du spectateur dans la mesure où ce dernier, face aux nombreuses contradictions, ne sait plus tout à fait où se niche la vérité.

Ces récits se succèdent et s’entremêlent, et finissent par brouiller la perception du spectateur dans la mesure où ce dernier, face aux nombreuses contradictions, ne sait plus tout à fait où se niche la vérité. L’Innocence démarre d’ailleurs comme un (faux) thriller pour terminer en mélodrame sensible et émouvant, genre de prédilection du cinéaste depuis déjà quelques années. On y retrouve également un certain souci du détail propre au réalisateur, notamment par le prisme des objets qui prennent une importance pour le spectateur a posteriori.  En recentrant son long métrage sur la relation entre Minato et l’un de ses camarades (une amitié forte, voire davantage, résultat d’une attirance mutuelle probablement liée à leur « différence »), Kore-eda évoque l’homosexualité refoulée dans une société rigide et peu empathique. Cette troisième partie, peut-être la plus convaincante (car filmée à hauteur d’enfants), contient deux très belles scènes : celle située dans la salle de musique de l’école, dans laquelle la directrice finit par conseiller à Minato qui tente de jouer du trombone : « tout ce que tu ne peux pas dire, souffle-le » ; et la toute fin de L’Innocence, moment d’apaisement et de bonheur retrouvé, comme si le cinéaste donnait à la relation entre les deux jeunes garçons la possibilité de s’épanouir enfin, les sauvant du déluge (autre leitmotiv que l’on retrouve dans l’œuvre du Japonais).

L’Innocence témoigne d’un regain de vitalité du cinéaste et se place d’ores et déjà dans la liste des prétendants à un prix.

Porté par la musique de Ryuishi Sakamoto (disparu en mars dernier et dont c’est la dernière composition), à qui le film est dédié, et bénéficiant de l’interprétation très juste de ses jeunes comédiens, L’Innocence témoigne d’un regain de vitalité du cinéaste et se place d’ores et déjà dans la liste des prétendants à un prix.

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RÉALISATEUR : Hirokazu Kore-Eda
NATIONALITÉ : Japon
GENRE : Drame
AVEC : Sakura Andô, Eita Nagayama, Soya Kurokawa
DURÉE : 2h06
DISTRIBUTEUR : Le Pacte
SORTIE LE 27 décembre 2023