Kenneth Branagh a longtemps été considéré comme un surdoué du cinéma, en raison de son premier film, Henry V, adaptation de la pièce éponyme de Shakespeare, qu’il a réalisé à 29 ans. Depuis il est souvent revenu à Shakespeare, comme une source inlassable d’inspiration, soit en adaptant ses pièces, soit en écrivant sur leur création, (Beaucoup de bruit pour rien, Au beau milieu de l’hiver, Hamlet, Peines d’amour perdues, Comme il vous plaira, All is true ), se montrant le plus brillant de ses thuriféraires. En dehors de son addiction shakespearienne, il a parfois réalisé des remakes plus ou moins dispensables (Frankenstein, La Flûte enchantée, Le Limier, Cendrillon), cédé par intermittences aux sirènes du mercenariat (Thor, The Ryan Initiative, Artemis Fowl, ses adaptations d’Agatha Christie). En plus de tout cela, il a formé pendant quelques années un couple légendaire avec Emma Thompson et mène une carrière d’acteur assez demandé, chez Robert Altman, Woody Allen ou Christopher Nolan. Néanmoins, il était possible de se demander parmi toutes ses activités diverses, hormis la partie shakespearienne, où se cachait le véritable Kenneth Branagh. Seul Peter’s friends donnait un exemple du metteur en scène personnel qu’il aurait pu devenir. Avec son nouveau film, Kenneth Branagh revient à la période fondamentale de sa vie, son enfance vécue dans la capitale de l’Irlande du Nord, jusqu’à l’âge de neuf ans. Belfast est ainsi une chronique vivifiante de ses années d’enfance, un regard à la fois tendre et sans concession sur un quartier au bord de la guerre civile, déchiré entre protestants et catholiques, permettant à Kenneth Branagh, de se révéler enfin, de fendre l’armure et de signer son meilleur film.
A Belfast, en 1969, Buddy petit garçon de neuf ans, vit choyé dans sa famille, dans un quartier d’Irlande du Nord, Son père s’absente par quinzaines pour aller travailler en Angleterre, sa mère fait tourner tant bien que mal le ménage, en payant les arriérés d’impôts. Avec son frère, adolescent, ses grands-parents, et tout le reste de sa famille, ils vivent tous dans le même quartier. Un quartier qui ne va pas tarder à basculer dans les affrontements entre catholiques et protestants.
Belfast est ainsi une chronique vivifiante de ses années d’enfance, un regard à la fois tendre et sans concession sur un quartier au bord de la guerre civile, déchiré entre protestants et catholiques, permettant à Kenneth Branagh, de se révéler enfin et de signer son meilleur film.
Le fait de revenir sur ses années d’enfance et d’adolescence est une tendance profonde et souterraine chez la plupart des créateurs, qu’ils soient littéraires ou cinématographiques. On pourrait la faire remonter à Amarcord de Federico Fellini. Cette tendance a été récemment réinitiée par Roma d’Alfonso Cuarón mais a certainement été accentuée par le confinement qui a obligé nombre de créateurs à se pencher sur leur passé et les sources de leur besoin de création : La Main de Dieu en est un autre exemple, centré sur l’adolescence du metteur en scène. Néanmoins on peut sans crainte de se tromper qu’une trilogie de l’enfance des cinéastes s’est mise en place avec donc Roma, Belfast de Kenneth Branagh qui nous occupe ici, et The Fabelmans, film autobiographique de Steven Spielberg. L’autobiographie figure parmi l’un des meilleurs moyens d’autoanalyse et donne des résultats souvent probants. Belfast figure ainsi parmi les cinq films favoris des Oscars 2022, ceux qu’on retrouve dans toutes les listes des pronostiqueurs, avec Licorice Pizza, The Power of the Dog, Dune et West Side Story.
Plusieurs choses rapprochent Belfast de Roma : la superbe photographie en noir et blanc, la période (fin des années soixante, début des années soixante-dix), l’adossement à une figure féminine forte (la bonne chez Cuarón, la mère chez Branagh), l’amour du cinéma (la séance du cinéma comme manifestation de cet amour). Pourtant, Belfast se rapproche davantage, par l’atmosphère, d’autres films comme Hope and glory de John Boorman ou L’Empire du soleil de Steven Spielberg. Kenneth Branagh montre en effet son alter ego de neuf ans, Buddy, devant se débrouiller face à une situation de tension inédite, la ville se trouvant au bord de l’explosion permanente. Afin de montrer cette situation sans commune mesure, il utilise tous les moyens de mise en scène à sa disposition : plongée sur la ville, contre-plongées sur les personnes menaçantes, ralentis sur certaines actions, travelling circulaire autour de Buddy lors d’une des premières séquences très impressionnantes du film. Le danger et la mort rôdent dans ce quartier qui était auparavant un terrain de jeux innocent et sans péril.
Même vues par les yeux d’un enfant, les difficultés de la vie de cette époque ne sont pas occultées par Branagh, la mère (formidable Caitriona Balfe, révélée par la série Outlander et Money Monster de Jodie Foster), recevant des lettres du percepteur qui l’attristent et devant s’accommoder des absences régulières de son mari. En dépit des dangers, des tensions et des difficultés, ce que l’on retient pourtant de Belfast, c’est un extraordinaire élan vital qui anime ses personnages : les danses de Caitriona Balfe, parfois en pleine rue, l’amour de Buddy pour une petite fille de son âge, la passion pour les westerns et les divertissements de toute sorte au cinéma et à la télévision (Branagh ne se prive pas de montrer Buddy en train de lire un comics sur Thor), enfin et surtout la musique de Van Morrison, l’une des plus grandes voix du rock, chanteur irlandais débordant de « soul » (l’inoubliable Jackie Wilson said). Belfast possède aussi l’immense qualité d’avoir un rythme trépidant, évitant les longueurs et ne se traînant pas jusqu’à la durée presque réglementaire aujourd’hui de deux heures et demie. Une heure trente neuf suffit à Kenneth Branagh pour évoquer sans pathos inutile un quartier, une période, une atmosphère, celle de l’enfance disparue, où un gosse pouvait rêver de marcher sur la Lune, de conquérir sa bien-aimée et de jouer dans son quartier. Une enfance a priori comme toutes les autres, mais qui, dans sa singularité, comme chacune, ne ressemble en fait à aucune autre.
RÉALISATEUR : Kenneth Branagh NATIONALITÉ : anglaise AVEC : Caitriona Balfe, Judie Dench, Jamie Dornan, Ciaran Hinds, Jude Hill GENRE : Drame DURÉE : 1h39 DISTRIBUTEUR : Universal Pictures International France SORTIE LE 2 mars 2022