Un silence : un film puissant et formidablement interprété

Après A perdre la raison, L’économie du couple ou le superbe Les intranquilles, Joachim Lafosse aborde avec son nouveau long métrage un sujet délicat et réussit à mettre en scène un drame d’une grande force, porté par un remarquable duo de comédiens, évitant tous les pièges inhérents à ce genre de thématique.

Silencieuse depuis 25 ans, Astrid, la femme d’un célèbre avocat, voit son équilibre familial s’effondrer lorsque ses enfants se mettent en quête de justice.

A la lumière de cette inspiration, on pouvait malheureusement craindre un film sordide et pesant mais c’est pourtant tout le contraire que l’on voit à l’écran,

Un silence s’inspire d’une histoire vraie : l’affaire Victor Hissel, du nom de l’ancien avocat de familles de victimes de Marc Dutroux, mis en cause en 2007 pour détention d’images pédopornographiques et condamné à 10 mois de prison ferme. A la lumière de cette inspiration, on pouvait malheureusement craindre un film sordide et pesant mais c’est pourtant tout le contraire que l’on voit à l’écran, notamment en raison du regard que porte Lafosse sur son sujet et ses personnages. Un regard qui passe par la mise en scène et des choix précis (au niveau du cadrage par exemple), plaçant le spectateur au cœur de l’enquête, le prenant même à témoin. A ce titre, toute la séquence d’introduction est passionnante : la caméra fixe longuement le visage d’une femme qui conduit, en larmes, par le biais du rétroviseur, puis qui répond à un interrogatoire de police mené par la commissaire (Jeanne Cherhal, très bien dans son premier grand rôle au cinéma). Il s’agit de la fin de l’histoire et, dès l’instant d’après, le long métrage nous narrera les événements qui ont précédé et abouti au drame familial. Son mari a été victime d’une tentative d’assassinat de la part de son propre fils. Comment en est-on arrivé à ce drame ? Telle est l’interrogation à laquelle va s’attacher à répondre Joachim Lafosse mais celui-ci ne choisit pas la facilité (et c’est tant mieux !). En effet, toute cette partie initiale a de quoi décontenancer car on ne comprend pas vraiment ce dont il est question et il est bien difficile de cerner les enjeux du récit. Pourtant, un certain malaise est déjà présent et cette impression ne quittera plus le spectateur jusqu’à la fin.

En effet, toute cette partie initiale a de quoi décontenancer car on ne comprend pas vraiment ce dont il est question et il est bien difficile de cerner les enjeux du récit.

On démêle alors progressivement les fils de l’histoire. Daniel Auteuil campe un avocat qui travaille sur une affaire sensible, son domicile semble l’objet de toutes les attentions (celle des médias, légitime, mais aussi celle de la police, plus intrigante). Des événements remontent à la surface à l’aune de cette affaire, entraînant toute une série de déflagrations au sein de la famille. La mise en scène est d’une belle facture, élégante et sobre, jamais ostentatoire. Si l’image est travaillée, il n’y a aucun artifice superflu et l’ensemble demeure fluide jusqu’au dernier acte où la tension palpable depuis le début implose, laissant place à la tragédie implacable, filmée hors-champ (ce qui montre bien que le sensationnel ou le graveleux n’intéressent en rien le réalisateur).

La force d’Un silence réside donc dans son traitement : ce qui intéresse finalement Joachim Lafosse et ses scénaristes, ce ne sont pas les faits en eux-mêmes (d’ailleurs, ils se sont déroulés avant le récit et ne seront jamais montrés en tant que tels), mais bien le silence, le déni et la honte qui en ont résulté. Sans juger pour autant les personnages, en tout cas celui d’Astrid (jouée par Emmanuelle Devos) qui est aussi une victime en souffrance, comme le souligne le metteur en scène : « Le crime provoque l’effroi, l’effroi provoque le silence qui engendre la culpabilité et la honte. On a tort de juger le silence, il faut l’interroger, c’est un symptôme. Il ne faut jamais oublier que le silence n’est pas le crime et que derrière toute personne silencieuse, il y a une épreuve, une difficulté à dire, une fragilité. »

Cette nuance est essentielle et parfaitement bien tenue tout au long d’un film qui évite aussi tout misérabilisme et surtout toute complaisance malsaine.

Cet aspect est le cœur même d’un film où la morale est bien présente mais sans qu’Un silence soit pour autant une œuvre moralisatrice. Cette nuance est essentielle et parfaitement bien tenue tout au long d’un film qui évite aussi tout misérabilisme et surtout toute complaisance malsaine. Elle est pleinement restituée à l’écran grâce aux performances de ses interprètes. Emmanuelle Devos est formidable, bouleversante (une constante pour l’une des grandes comédiennes françaises en activité, depuis La Sentinelle en 1992 jusqu’à Tromperie de Desplechin, en passant par Sur mes lèvres de Jacques Audiard en 2001). Daniel Auteuil prouve, une fois de plus (après Caché de Michael Haneke en 2005, sa dernière grande prestation), qu’il est un comédien remarquable, capable de subtilité et qui peut se mettre en « danger », ayant accepté ce rôle difficile (et pas nécessairement à son avantage) que d’autres acteurs de renom ont pourtant refusé. Le duo, reformé 20 ans après L’Adversaire de Nicole Garcia, porte littéralement le film.

En définitive, Un silence est donc un film très fort qui réussit à filmer ce qu’il est souvent difficile de mettre en images, le silence, les doutes et la honte sans stigmatiser personne ni tomber dans la simplicité. Pari relevé haut la main par Joachim Lafosse !

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RÉALISATEUR : Joachim Lafosse
NATIONALITÉ : belge, française
GENRE : Drame
AVEC : Daniel Auteuil, Emmanuelle Devos, Jeanne Cherhal
DURÉE : 1h39
DISTRIBUTEUR : Les Films du Losange
SORTIE LE 10 janvier 2024