Sans jamais nous connaître : The Power of Love

Comme Joanna Hogg (The Eternal Daughter), Charlotte Le Bon (Falcon Lake) ou David Lowery (A Ghost Story), Andrew Haigh (Week-end, 45 ans, La Route sauvage) est fasciné par les histoires de fantômes, à tel point que son nouveau film aurait pu s’appeler A Ghosts’ Story . Cette fascination existe depuis des lustres dans l’histoire du cinéma. Ne citons que L’Aventure de Madame Muir de Joseph L. Mankiewicz comme film sublimissime et absolu chef-d’oeuvre du film de fantômes, mais avec Sixième Sens, M, Night Shyamalan a remis largement les fantômes au goût du jour pour les récentes générations. En traitant ce thème, Andrew Haigh accentue la solitude d’un protagoniste gay. Après avoir traité de thématiques assez unanimistes et hétéronormatives (45 ans, La Route sauvage), Haigh, cinéaste ouvertement gay, retourne à ses premières amours (Week-end), en s’emparant d’un sujet délibérément LGBTQ+. Sur le fil du rasoir, pendant tout le film, Haigh parvient à faire d’un sujet assez mélodramatique, un homme à la recherche de ses proches, une ode aux regrets et une complainte touchante sur l’ultra-moderne solitude des personnes qui se sentent trop différentes dans un monde désespérément homogène.

De nos jours, Adam, scénariste désoeuvré, vit dans une tour apparemment inoccupée. Il croise de temps son unique voisin, Harry, qui flirte avec lui. Il cherche à écrire un scénario sur ses parents et revient un jour dans la maison de son enfance. Il a la grande surprise de retrouver ses parents qui, étrangement, n’ont pas vieilli depuis une trentaine d’années….

Haigh parvient à faire d’un sujet assez mélodramatique, un homme à la recherche de ses proches, une ode aux regrets et une complainte touchante sur l’ultra-moderne solitude des personnes qui se sentent trop différentes dans un monde désespérément homogène.

En concevant son film, adapté du roman Présences d’un été (Strangers) de Taichi Yamada, Andrew Haigh a adopté un point de vue assez radical et courageux. Pendant la première demi-heure du film, l’énigme du film consiste à comprendre comment Adam peut croiser ses parents qui sont restés figés au même âge que trente ans auparavant. Haigh choisit de ne pas chercher expliquer ce mystère et de l’accepter tel quel, comme s’il allait de soi. A partir de là, Sans jamais nous connaître avoue clairement son essence anti-naturaliste. Le film, censé se passer de nos jours, brouille les frontières spatio-temporelles (surtout temporelles). Il est alors raconté au conditionnel passé ou au futur antérieur, dans un entre-deux, entre passé, présent et futur, qui oblitère toute notion de réalisme. Haigh joue d’emblée cartes sur table en montrant des éléments qui jurent avec une représentation réaliste d’une histoire : la tour inoccupée, les protagonistes réduits au nombre de quatre dans une ville aussi peuplée que Londres, l’immense solitude entourant le personnage principal.

Sans jamais nous connaître se concentre sur la même ligne mélodique et narrative, une lente et patiente appropriation du travail de deuil. Le travail sur les sonorités et les couleurs du film s’avère absolument remarquable pour créer cette vénéneuse atmosphère, où l’on ne sait plus trop si les personnages sont retournés dans les années 80 ou vivent dans un monde déserté par une éventuelle pandémie. Pourtant, à force d’essayer de tenir sur la même tonalité pendant tout un film, (l’acteur principal au bord des larmes, les autres à l’unisson, la mise en scène volontairement calée sur un rythme très contemplatif et lent), Andrew Haigh laisse passer certaines longueurs préjudiciables à son film. Sans jamais nous connaître ressemble ainsi à un long récitatif mélancolique où les larmes sont réprimées et les émotions réfrénées.

Pourtant, dans cette partition relativement restreinte, les acteurs se révèlent assez virtuoses : Andrew Scott, le Moriarty grimaçant et grinçant de Sherlock, ainsi que le prêtre humain, trop humain de Fleabag, trouve sans doute ici son plus beau rôle, celui d’un scénariste, écrivain raté, qui cherche à se reconnecter à son passé et à renouer un lien avec ses parents. Paul Mescal joue ici avec grâce et mystère le contre-champ et le sous-texte homosexuel de son personnage de père tourmenté dans Aftersun. Quant à Claire Foy et Jamie Bell, ils étincellent dans leur jeu de présence-absence, qui donnent une consistance impalpable à leur symphonie des spectres.

Même si le dispositif adopté par Haigh s’avère un peu trop contraignant et laisse filtrer quelques faiblesses tout au long du film, reconnaissons que la fin de Sans jamais nous connaître atteint sans forcer le sublime. Une dernière séquence inoubliable confronte ainsi les deux personnages principaux via un twist attendu et nous emmène dans les étoiles sur fond musical de The Power of love de Frankie goes to Hollywood. Une chanson si extraordinaire qui rend à elle seule le générique de fin inoubliable, au diapason des personnes qu’on souhaite préserver dans notre esprit toute notre vie.

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RÉALISATEUR : Andrew Haigh 
NATIONALITÉ :  britannique 
GENRE : fantastique, mélodrame, romance
AVEC : Andrew Scott, Paul Mescal, Claire Foy, Jamie Bell 
DURÉE : 1h45 
DISTRIBUTEUR : The Walt Disney Company France 
SORTIE LE 14 février 2024