C’est toujours un bonheur de rencontrer Vincent Macaigne. Généreux, humble, disponible, Vincent Macaigne n’a pas véritablement changé. Nous avions déjà eu l’immense plaisir de croiser sa route en 2017 au moment de la sortie de son premier film Pour le réconfort, en tant que metteur en scène. A l’époque, il était déjà devenu l’acteur-phare de toute une jeune génération de réalisateurs (Brac, Triet, Peretjatko, Garrel fils). Quelques cinq années plus tard, on le retrouve en vedette principale d’un film d’un auteur confirmé, Chronique d’une liaison passagère, d’Emmanuel Mouret, le film de cette semaine, à ne pas manquer. Aminci, affuté, très cinéphile, il défend merveilleusement ce film remarquable. L’occasion pour nous de deviser avec Vincent Macaigne sur sa nouvelle popularité, sa relation d’acteur à l’univers d’Emmanuel Mouret, l’éloge de ses magnifiques partenaires, la comparaison entre Les Choses qu’on dit, les Choses qu’on fait et Chronique d’une liaison passagère, la manière dont il a traversé la période de confinement, etc.
Depuis la dernière fois où nous nous sommes rencontrés, en 2017, au sujet de Pour le réconfort, votre premier film en tant que metteur en scène, vous êtes devenu extrêmement populaire…
Bah je n’ai pas remarqué…(rires). C’est à vous de le dire.
Aujourd’hui vous avez accès à des auteurs confirmés comme Emmanuel Mouret ou Olivier Assayas alors qu’au début, vous commenciez votre carrière en même temps que de jeunes metteurs en scène qui faisaient leur premier film comme Guillaume Brac, Justine Triet, Antonin Peretjako….
J’en suis très fier, J’aime beaucoup leur cinéma.
Le fait d’accéder à des auteurs confirmés, cela change-t-il votre approche de votre carrière en tant que comédien?
Non, je ne crois pas. Pour moi, le fait de tourner avec Emmanuel Mouret, c’est magnifique car il a tellement de curiosité, de fraîcheur dans son travail que c’est comme tourner avec un jeune cinéaste. J’ai fait deux films avec lui. Il recherche dans chaque film, il gratte quelque chose à chaque fois en lui et dans son cinéma. Il n’existe pas une énorme différence entre les deux cas que vous avez évoqués. La joie, l’envie, le désir, en l’occurrence, chez Olivier Assayas ou Emmanuel Mouret, il y a énormément d’envie.
Cela vous a-t-il surpris qu’il vous rappelle une deuxième fois?
Oui et non. On a fait une belle rencontre sur Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait. Du coup, j’étais ravi qu’il me propose ce rôle-là dans Chronique d’une liaison passagère. Je pense aussi qu’il existe une continuité avec le personnage des Choses qu’on dit, les Choses qu’on fait.
Justement, c’est là où je voulais en venir….Quelle est pour vous la distinction entre Simon, le personnage de Chronique d’une liaison passagère et François, celui des Choses qu’on dit, les Choses qu’on fait?
En tout cas, le personnage des Choses qu’on dit, les Choses qu’on fait, c’est un personnage où on voit la tragédie, le tragique, tandis que dans Chronique d’une liaison passagère, Emmanuel Mouret s’attelle à montrer deux personnages qui se rapprochent, à analyser s’ils sont fidèles à leurs sentiments ou à leur couple. En fait, on ne voit pas les conjoints des deux personnages. C’est complètement différent, cela change beaucoup de choses. Car Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait, c’est une sorte de tragédie sur l’amour. En revanche, ici, c’est quelque chose d’assez joyeux, on oublie ce qui se trouve autour, pour ne montrer que les rendez-vous, pour exposer ces deux êtres qui apprennent à se connaître, qui se promettent une forme de légèreté. On sent qu’ils se font un peu prendre au sentiment amoureux. C’est un film presque réalisé comme un film à suspense, comme un film d’action. A chaque rendez-vous, on se demande qui va avouer en premier qu’ils s’aiment. On est en attente d’un aveu.
Ah vous pensez que c’est l’aveu de l’amour que l’on attend plutôt que la rupture entre les deux?
L’un ou l’autre.
En effet, le fait que les conjoints soient relégués hors champ, cela change complètement la perspective car on a l’impression que le véritable couple est celui que l’on voit à l’écran, ce qui fait qu’on est immédiatement attristé s’il se fissure.
Oui, vous avez raison, c’est un peu inversé, en fait.
Par rapport au jeu, avez-vous joué différemment Simon par rapport à François?
C’est sûr, ce sont des personnages cousins. Néanmoins je les ai joués différemment pour plein de raisons. Car Chronique d’une liaison passagère est un film très bavard et il fallait aller très vite pour éviter que les choses ne s’appesantissent. Il fallait être rapide alors que Les Choses qu’on dit, les Choses qu’on fait est plus posé. Ici, il fallait aller dans le mouvement de la joie, lorsque les personnages apprennent à se connaître. Pour autant il existe des similitudes car ce sont des personnages cousins.
On a l’impression qu’Emmanuel Mouret a prélevé une partie des Choses qu’on dit, les Choses qu’on fait et qu’il s’est focalisé sur deux personnages.
Exactement. Il a zoomé sur une partie.
Le texte que vous devez jouer, c’est vraiment de la dentelle. Vous avez dû jubiler de jouer un tel texte avec des partenaires extraordinaires.
C’est très beau. Oui, Sandrine Kiberlain, c’est une très grande actrice. La rencontre entre Sandrine Kiberlain et Emmanuel Mouret est assez importante parce qu’elle a amené une forme de joie, de charme et de profondeur à son cinéma. On comprend que son personnage est léger et profond, tout en même temps. C’est quelque chose qui est donné à l’univers d’Emmanuel Mouret. C’est comme un accélérateur d’univers. Sandrine Kiberlain a boosté l’univers d’Emmanuel Mouret.
C’est une jolie formule…Sandrine Kiberlain, c’est une actrice que je trouve de plus en plus extraordinaire….
Elle était déjà géniale dès ses premiers films.
Nous sommes d’accord mais je la trouve encore meilleure, si c’est possible. Et Georgia Scalliet se trouve aussi dans Chronique d’une liaison passagère, une vraie révélation.
Oui, il y a une sorte d’état de grâce sur les acteurs dans ce film. Cela a été un tournage magnifique avec des gens humainement géniaux, à l’image d’Emmanuel Mouret qui nous a donné beaucoup de plaisir et de tendresse. On avait tous les jours envie de tourner pour le revoir, pour le rencontrer.
Mais êtes-vous un peu devenu l’alter ego d’Emmanuel Mouret?
Non, je ne crois pas. De toute façon, ce n’est pas à moi qu’il faut le demander, mais à Emmanuel Mouret.
Je lui ai posé la question, il m’a dit « peut-être »
En tout cas, j’ai une forme de tendresse pour les gens qui ont une tragédie en eux, et une politesse énorme qui accompagne la tragédie. Ce film a cette politesse et en même temps, il est également léger. C’est pour ça que ce film représente une sorte d’état de grâce car il montre deux personnages qui se rencontrent et se disent « on va réussir à être légers« . La vraie question du film, c’est combien de temps vont-ils réussir à rester légers. C’est là que l’énorme mélancolie arrive. Evidemment qu’ils vont arriver à rencontrer l’autre, à regarder l’autre.
C’est un film qui fait énormément de bien, en cette période étrange….
Oui, étrangement, c’est un film qui se passe beaucoup dehors, avec beaucoup de vitesse et de paysages. Comme ils sont « amants », ils sont un peu obligés d’être dehors. C’est un film qui se passe de rendez-vous en rendez-vous, ils vont au musée, etc.
C’est un peu comme Conte d’automne de Rohmer qui se passe souvent à l’extérieur.
Moi, j’ai pensé beaucoup plus à Quand Harry rencontre Sally. Parce que ce sont deux films qui marchent sur les mêmes ressorts. Il y a des passages où l’on sait que les personnages vont s’avouer quelque chose et tout le film repose sur le moment où ils vont finir par se l’avouer. Et si cela va rater. On a de la sympathie pour eux, on a sacrément envie qu’ils s’aiment. Mais pour moi, la véritable référence se trouve là. Quand Harry rencontre Sally, c’est une sorte de film à suspense, un film d’action amoureuse. Cela fait du bien, c’est un film qui fait vraiment du bien. Le film est très joyeux car quand je l’ai vu, j’ai trouvé que c’est un film qui redonne envie aux gens de s’aimer. Cela raconte que oui, c’est possible de rencontrer quelqu’un.
Même si cela ne dure pas longtemps, ce n’est pas grave…
Voilà, même si cela ne dure pas, même si c’est compliqué, il y a de la joie. C’est un très grand film sur l’amour. Un peu comme les grandes comédies américaines. Si c’était une série, on pourrait revoir les personnages tous les cinq ans, un peu comme la trilogie sur le couple de Richard Linklater (Before sunset, Before sunrise, Before midnight) avec Julie Delpy et Ethan Hawke. On a presque envie de les voir vieillir.
Comment avez-vous traversé la période du confinement?
La période du confinement a été assez paisible. Elle m’a beaucoup arrêté et déréglé quant à mon désir en tant que metteur en scène. Heureusement, j’ai eu beaucoup de propositions donc celle d’Emmanuel Mouret, d’Olivier Assayas, etc. Le confinement a été assez paisible mais en revanche, le déconfinement a été plus dur pour moi, le fait de sortir de ma torpeur, C’était plus dur, le déconfinement que le confinement. C’est une drôle de chose lorsque tout s’est arrêté. Ensuite on nous met une drôle de pression pour à tout prix continuer à vivre.
Il s’agissait de vos projets de metteur en scène de théâtre ou de cinéma?
Les deux. Maintenant je vais les reprendre.
Une de vos collègues, Pauline Lorillard, m’a dit récemment « ce qui est formidable avec Vincent, c’est qu’il m’a donné foi en l’art, et envie de croire qu’une autre réalité existe ».
C’est très beau, ça me touche beaucoup. C’est une actrice géniale qui n’a pas encore donné tout son potentiel. Avec Sandrine, elles n’ont pas vraiment de points communs mais elles ont toutes les deux quelque chose de doux, chic et profond, un peu comme Emmanuel aussi.
Pendant le confinement, quelles sont les oeuvres que vous avez vues, revues, lues, découvertes?
Je vais citer La Montagne Magique de Thomas Mann, j’adore cette oeuvre. C’est quasiment une oeuvre de confinement puisque cela se passe dans un sanatorium. Tchékhov, j’ai un peu bossé sur Tchékhov pendant le confinement. Oncle Vania, c’est presque du confinement aussi, des bourgeois qui se retournent vers leur maison avec tous les conflits que cela peut créer. J’ai beaucoup d’admiration pour Tchékhov, Thomas Bernhard, Nietzsche, Houellebecq, pas mal de grands auteurs… La Montagne Magique, c’est important, volumineux, drôle, un peu inquiétant,
Avez-vous un film récent que vous avez aimé, que vous pouvez nous conseiller?
Ces derniers temps, j’étais assez peu au cinéma car j’étais en tournage. Je vais vous conseiller le film de Céline Devaux, Tout le monde aime Jeanne, car c’est une amie. Dans les prochains films, j’ai terriblement envie de voir le film de Ruben Östlund, Sans filtre, la Palme d’or. Je ne l’ai pas vu, j’avais beaucoup aimé ses films précédents, The Square, Snow Therapy.
De toute manière, on va surtout recommander le film d’Emmanuel Mouret, avec vous. Ce qui m’a heureusement surpris, c’est qu’au départ, on pouvait croire à une redite par rapport au film précédent et en fait pas du tout.
En fait ce n’est pas une redite. Ce qui est beau, c’est qu’il filme avec les mêmes obsessions mais il travaille toujours plus loin, à l’intérieur de ses obsessions. C’est très beau.
A mon avis, je l’ai quasiment plus aimé que Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait.
Oui c’est un très beau film car il va de plus en plus en avant dans les questionnements de son oeuvre. Cela montre beaucoup d’humour et de légèreté mais quelque chose aussi d’extrêmement mélancolique qui remplit tous ses films.
Il y a une très belle séquence dans Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait, la séquence de la gare, où l’on croit que votre personnage va être abandonné, et en fait non. C’est toute l’humanité d’Emmanuel Mouret qui se manifeste là, en tant qu’auteur. D’ailleurs entre Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait et Chronique d’une liaison passagère, quel film se termine le mieux pour vous?
Plutôt Chronique quand même. On ne peut pas tout dévoiler mais la fin est quand même joyeuse. La fin de Chronique est plus ouverte que celle des Choses qu’on dit. C’est un film qui apporte du rêve.
Entretien réalisé par David Speranski en septembre 2022 à Paris.