Chronique d’une liaison passagère : les intermittences du coeur

Depuis Mademoiseille de Joncquières, son remake des Dames du bois de Boulogne de Robert Bresson, Emmanuel Mouret, dépassant désormais la cinquantaine, n’apparaît plus dans ses films, n’étant plus guère crédible en jeune homme lunaire et distrait. Son oeuvre y a incomparablement gagné en intensité et en profondeur. Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait, construit en récits enchassés à la manière des poupées russes, atteignait une dimension tragique qui en faisait de très loin son plus beau film. Plus modeste en apparence, Chronique d’une liaison passagère fait montre des mêmes qualités de sensibilité et de finesse, offrant une partition idéale sur les intermittences du coeur à de véritables Stradivarius de l’art dramatique, la pétulante Sandrine Kiberlain, l’attentionné Vincent Macaigne et la magnifique révélation Georgia Scalliet, dont on s’étonne de ne pas l’avoir davantage vue dans d’autres oeuvres, hormis L’Odeur de la mandarine, tant elle distille de charme et de naturel.

Une mère célibataire, Charlotte, et un homme marié, Simon, deviennent amants. Engagés à ne se voir que pour le plaisir et à n’éprouver aucun sentiment amoureux, ils sont de plus en plus surpris par leur complicité…

Chronique d’une liaison passagère présente de rares qualités de sensibilité et de finesse, offrant une partition idéale sur les intermittences du coeur à de véritables Stradivarius de l’art dramatique

Tel un Rohmer moderne, Emmanuel Mouret n’a cessé de s’interroger sur les relations entre passion et amour., sexe et sentiments, Il impose ici à ses personnages, Charlotte et Simon, un libertinage qui n’ose pas dire son vrai nom d’amour. Au départ, ses personnages passent par une attirance physique et sont d’autant plus à l’aise que l’engagement n’a aucun droit de cité. Or le sexe finit à force de rencontres complices par déboucher sur un attachement réel. D’une certaine manière, c’est la génération post-68 qui s’autorise de vivre des aventures, des passages sur des chemins de traverse décalés qui finissent par rejoindre l’autoroute principale de l’amour.

Pour servir ce prétexte dramatique relativement mince, Emmanuel Mouret, avec son coscénariste Pierre Giraud, a tissé une toile précieuse de dialogues rappelant le travail d’autres orfèvres de la langue française, nommés Marivaux, Musset, Rohmer ou Truffaut. S’auto-analysant à voix haute, le personnage de Simon, héritier des personnages interprétés par Mouret lui-meme, démontre une capacité lunaire de vivre dans sa bulle. Il bénéficie de l’interprétation merveilleuse de Vincent Macaigne, en homme féminin à 80% et brute à 20%, vrai/faux sérial séducteur, ne se rendant pas compte que Charlotte, qui n’était censée représenter qu’une aventure sans lendemain, finit par lui être aussi indispensable que l’oxygène pour respirer. Pourtant Mouret connaît aussi les vertus du silence : il suffit en effet d’un plan de dos de Sandrine Kiberlain et d’un rare zoom avant pour faire comprendre que, sous son allure faussement décontractée, décidée et libertine, Charlotte éprouve bien plus de sentiments qu’elle ne saurait l’avouer.

Dans cette carte du Tendre, les atermoiements et valses-hésitations sont de rigueur. Vincent Macaigne y symbolise un spécimen de nouveau mâle attentionné et féminin, à mille lieues des mâles alpha, qui séduisent sans le faire exprès, en ne faisant jamais le premier pas, mais en se laissant ouvert le champ des possibles. Le personnage de Sandrine Kiberlain incarne au contraire le genre de femmes libérées qui n’ont pas peur d’exprimer leurs désirs et voudraient ne pas s’attacher plus que de mesure. D’une certaine manière, d’un point de vue sociologique, dans leur modus vivendi, le couple d’Emmanuel Mouret exprime une sorte de nouvel ordre amoureux.

Néanmoins le plaisir consistant à voir Chronique d’une liaison passagère ne relève pas de l’ordre du sociologique. Depuis la disparition d’Eric Rohmer, plus personne, hormis Emmanuel Mouret, n’écrit une langue aussi belle et châtiée. C’est donc à un plaisir rare, la jouissance du texte, que nous convie Emmanuel Mouret. Et on ne peut s’empêcher d’éprouver un frisson devant ce qui aurait pu être un véritable amour et que les personnages laissent échapper sans espoir de retour, Mouret atteignant une authentique émotion épurée, sans esbroufe ni surenchère. Pour conclure, il faut aussi souligner que son récent épanouissement stylistique le place aux cotés de Hong Sang-soo et de Ryusuke Hamaguchi, ce qui n’est pas suffisamment dit. Ni plus ni moins.

4

RÉALISATEUR :  Emmanuel Mouret 
NATIONALITÉ : française 
AVEC : Vincent Macaigne, Sandrine Kiberlain, Georgia Scalliet 
GENRE : Comédie dramatique, romance 
DURÉE : 1h40
DISTRIBUTEUR : Pyramide Distribution 
SORTIE LE 14 septembre 2022