Peu de professionnels peuvent se targuer d’entrer au Panthéon des critiques qui ont marqué l’histoire du cinéma comme l’a fait Pauline Kael. Faiseuse de rois, celle qui a été la plus célèbre critique du New Yorker a aussi défait la carrière de nombreux metteurs en scène, seulement armée d’une plume bien aiguisée et d’un franc-parler sans aucun filtre qui ont fait sa réputation. Au-delà de son style parfois acerbe, parfois jugé injuste, souvent à contre-courant des autres critiques, c’est aussi son amour du Septième Art que ce documentaire réalisé par Rob Garver en 2018, qui sort en salle en France le 16 novembre 2022, tente de nous raconter.
C’est la publication en 1965 d’une critique cinglante de l’immense succès public La Mélodie du bonheur qui vaudra à Pauline Kael deux choses: d’être renvoyée du magazine McCall’s, mais aussi d’avoir trouvé le terreau fertile à son écriture. Celle qui s’était essayée sans succès à l’écriture de pièces de théâtre rencontre enfin son destin : celui de donner son avis sur le cinéma, sans avoir peur du qu’en-dira-t’on, ni du muselage de l’industrie, tout en étant la seule femme d’un monde d’hommes à son arrivée. Pour elle, le Hollywood des années 50 se définissait par la célèbre formule « Kiss Kiss Bang Bang« , Hiroshima mon amour de Resnais n’était qu’un film « interminable« , Shoah de Lanzmann se résumait en un adjectif « épuisant« , Clint Eastwood (Pour une poignée de dollars) n’était qu’un « macho facho doublé d’un espadon froid et inexpressif » et elle a détesté tous les films de Kubrick (Orange mécanique, 2001 : l’odyssée de l’espace). Elle a par la suite donc travaillé pour le New Yorker et a été l’une des critiques les plus influentes des années 60-90, participant à faire éclore le Nouvel Hollywood, à mettre en avant le talent de cinéastes tels que Steven Spielberg (Les dents de la mer, film pour lequel elle était « la seule spectatrice à en avoir saisi le sens » d’après lui), Jean-Luc Godard (A bout de souffle); qualifié de « Fitzgerald du cinéma » ou encore Martin Scorsese (Mean Streets), mais ne s’empêchera pas de démolir certains de leur films des années plus tard. D’autres cinéastes iront jusqu’à lui faire part de leurs projets de film, comme Wes Anderson (Bottle Rocket) ou encore Brian de Palma (L’Impasse). Sur la fin de sa carrière marquée par la maladie de Parkinson, elle écrira un scénario avec l’un des acteurs les plus en vue de l’époque, Warren Beatty (Bonnie and Clyde), qui ne sera jamais réalisé.
Qui a peur de Pauline Kael? est donc un documentaire intéressant pour les curieux de l’histoire du cinéma mais souffrant malheureusement d’une réalisation calquée sur un modèle générique sans réel intérêt
Le documentaire, d’une réalisation très basique, joue l’alternance entre extraits de films qui ont fait les années 60-70, archives d’interviews télévisées et interviews de personnalités prestigieuses tournées pour l’occasion, dont par exemple Paul Schrader (scénariste de Yakuza, Taxi Driver ou encore A tombeau ouvert), Quentin Tarantino (Reservoir dogs, Pulp Fiction, qui la qualifie de « professeur de cinéma » suite à ses lectures adolescentes) ou encore David O. Russell (Happiness Therapy). Tous avouent avoir lu ses critiques, non pas tant pour l’avis émis que pour son analyse cinématographique. Le récit se veut chronologique, de sa naissance à son décès, une voix off incarnant Pauline Kael (décédée en 2001), avec des plans de films qui illustrent les propos de manière assez grossière, et tient lieu de témoignage d’une femme influente de son temps qui rédigeait ses textes envers et contre tous, souvent polémiques, mais toujours sincères. Le film, qui encore une fois n’apporte rien au style documentaire, a le mérite de souligner l’importance de la critique cinéma, et de soulever le débat : quelle est la légitimité à donner son avis sur le cinéma quand on n’a jamais participé à la fabrication d’un film? « Pas besoin de savoir pondre un oeuf pour savoir s’il est bon » vous répondra Pauline Kael. L’idée principalement défendue ici étant donc que sans liberté de blâmer, il n’y a pas d’éloge flatteur.
Qui a peur de Pauline Kael? est donc un documentaire intéressant pour les curieux de l’histoire du cinéma mais souffrant malheureusement d’une réalisation calquée sur un modèle générique sans réel intérêt, qui a le mérite de donner envie de lire les recueils de textes Chroniques américaines et Chroniques européennes. On est donc en droit de se demander : qu’aurait pensé Pauline Kael du documentaire sur sa propre vie?
RÉALISATEUR : Rob Garver NATIONALITÉ : USA AVEC : Paul Schrader, Quentin Tarantino, David O. Russell... GENRE : Documentaire DURÉE : 98 minutes DISTRIBUTEUR : Dean Medias SORTIE LE 16 novembre 2022