2001, l’Odyssée de l’espace : 50 ans plus tard

Si l’œuvre visionnaire de Stanley Kubrick a de tout temps partagé autant dans sa lecture que son appréciation, il est une évidence vis-à-vis de ce film que l’on ne peut nier : il y a eu dans l’histoire du septième art un avant et un après 2001, l’Odyssée de l’espace. Des origines de l’humanité jusqu’à son émancipation de la planète Terre, le récit propulse comme rarement en son temps les millénaires, abordant avec poésie la traversée des âges de notre espèce. En un simple lancé d’un os devenu outil dans le ciel, symbole de l’Homme qui s’élève, la conquête spatiale devient réalité. Plus que l’histoire d’un bond dans un nouveau millénaire, c’est également et surtout une évocation : celle de notre place dans l’univers. Une puissante odyssée, parsemée de mystères, qui questionne aujourd’hui encore. Cinquante ans après, l’empreinte du film atteste de son apport dans le registre de la science-fiction et plus largement, dans la culture. Révolution dans la forme grâce à ses effets spéciaux novateurs (il a remporté l’Oscar à ce titre en 1969), l’œuvre est caractérisée par la minutie de son créateur, cinéaste exigeant dans ses propositions cinématographiques. Contemplatif, pouvant presque se réduire à la beauté de ses ballets spatiaux, le vertigineux récit de « 2001 » cultive le silence et économise intelligemment les soubresauts de son aventure interstellaire pour atteindre l’imagination du spectateur avec ses images et sa musique. Chacun peut, à la hauteur de sa subjectivité, lire et voir le film : l’étrange force à la fois puissante et tranquille d’un monument du cinéma. A l’occasion de son anniversaire et à l’initiative notamment du réalisateur Christopher Nolan, « 2001, l’Odyssée de l’espace » retrouve cette année le chemin des salles sombres. Une expérience pensée comme une réplique, se voulant être proche de celle de 1968. Retour sur la « nouvelle » version du chef-d’œuvre de Kubrick.

Il y a 50 ans sortait l’Odyssée de l’espace en 70 mm

Alors que la mission Apollo 8, marquante par le fait qu’elle signe la première sortie humaine de l’orbite terrestre, n’arrivera qu’à la fin de l’année 1968, Stanley Kubrik dévoile à Washington le 2 avril de cette même année son nouveau film : 2001, l’Odyssée de l’espace. Le tournage a débuté quelques années ans plus tôt, en 1965 et devait initialement, dans l’esprit du studio MGM en tout cas, se conclure l’année suivante pour une exploitation la veille de 1967. C’était sans compter la masse phénoménale pour l’époque d’effets spéciaux à réaliser et au montage minutieux du film. Le lendemain de la diffusion dans la capitale américaine, c’est au tour de New York puis Los Angeles d’accueillir l’œuvre. Les retours ne se font pas attendre et ils ne sont pas particulièrement élogieux : c’est, plus que le fond, la longueur qui fait défaut à « 2001« . Kubrick prend alors rapidement la décision de réduire la durée de son film : il passe ainsi de 161 minutes dans sa monture originale à 142 minutes. En France, les spectateurs embarquent dès le 27 septembre 1968, date de sa sortie en hexagone.

Filmé en 65 mm (Super Panavision 70), le film fut projeté dans de nombreux cinémas en « Cinérama ». Grossièrement, il s’agit de la diffusion d’un film sur trois écrans avec trois appareils de projection au bénéficie d’un rendu large. Plus limité dans son exploitation et confidentiel dans sa diffusion, le format 70 mm se distingue par la qualité de son image. Elle se montre plus précise, plus ample, mais également plus profonde. Concernant le son, il trouve sa place sur six pistes magnétiques. Une expérience qui contribua alors en son temps à justifier, face à une télévision montante, la particularité du cinéma. Dans les salles non équipées, « 2001 : l’Odyssée de l’espace » était projeté dans un format argentique standard, en 35 mm (soit un ratio de 2.35 : 1 contre 2.20 : 1 pour le format 70 mm). Au-delà de la question technique, le film n’a pas peiné à trouver son public, attirant pas moins de 3 millions de spectateurs en France. Alors que le film, pourtant expérimental, avait coûté près de dix millions (quatre à l’origine), il a au final rapporté à son studio plus de cinquante millions : un pari payant pour le célèbre lion de la MGM (Metro-Goldwyn-Mayer).

Un bond dans le temps : de 1968 à 2001

Initialement, lors des premières diffusions du film en 1968, les cinémas devaient respecter certaines règles lors de la projection de l’œuvre. En effet, les films ayant tendance à tirer sur le temps étaient souvent marqués par une pause au milieu, afin de laisser les spectateurs souffler un peu. 2001, l’Odyssée de l’espace ne passait évidemment pas au travers de ce dispositif. Plus qu’un simple entracte, il s’agissait d’une expérience complète visant l’immersion et la réflexion. Une musique signalait d’abord le lancement du film, puis une coupure nommée « Intermission » marquait l’entracte et enfin on pouvait entendre une musique de clôture de quatre minutes.

Le troisième millénaire entamé, l’humanité avance et continue de scruter les étoiles, mais n’a pas encore atteint l’accomplissement technique du film. Entre Windows 2000 et HAL 9000, le chemin est encore long. Pour fêter l’année du titre du film, une nouvelle sortie est organisée dans différentes salles avec une projection de l’œuvre au format 70 mm. A Paris dans un premier temps, en exclusivité au Gaumont Grand Écran Italie (un cinéma qui a fermé au début de l’année 2016, doté alors du plus écran d’Europe), puis en Provence en 35 mm à partir de mars 2001. Une copie remastérisée (tirage Technicolor) dans sa version originale, comprenant les scènes retirées par Stanley Kubrick. Un beau cadeau aux cinéphiles.

Le voyage continue en 2018

Cinq décennies nous séparent désormais de la première diffusion de 2001, l’Odyssée de l’espace. Et c’est au hasard d’une rencontre entre le cinéaste Christopher Nolan, qui a nous a notamment proposé un autre grand voyage stellaire avec Interstellar, et le responsable de la restauration des films chez Warner Bros., Ned Price, que l’on doit le fait de retrouver une nouvelle fois l’œuvre de Kubrick dans nos salles. Alors que Christopher Nolan travaillait sur la remasterisation de ses films en 4K, Ned Price lui était à l’œuvre dans le même laboratoire sur la version 4K Ultra HD de « 2001 » (qui devrait d’ailleurs paraître dans le courant de l’année). Après avoir eu l’occasion de regarder une copie imprimée en 1999, une idée fut soumise au studio : refaire une copie 70 mm, pour faire revivre l’expérience de 1968 aux spectateurs de 2018.

Le travail a été réalisé depuis les négatifs originaux (conservés à Los Angeles, au studio Burbank), avec comme leitmotiv la fidèle restitution de la pellicule d’origine. Là où beaucoup de restaurations visent le nettoyage de l’image, avec la suppression finalement de ce qui semble encombrant à l’heure de la propreté du numérique (rayures, poussières, grains), ici le challenge était plutôt de conserver et de ne rien omettre dans l’apparence et le contenu. L’altération a été réduite au minimum, le film n’ayant subi aucune retouche graphique. Une sorte de « non-retouche » au final, qui a tout de même mobilisé plusieurs équipes durant à peu près quatre mois. Pour dire à quel point cet objectif a été pris au sérieux, des cadres fatigués qu’il aurait été possible de réparer, en échange d’une retouche numérique, ont été intégrés dans cette nouvelle version 70 mm. La partie son n’a pas non plus bénéficié d’une revisite, cette dernière tirant profit de la bande originale à six canaux via un disque DTS.

C’est à la faveur du cinquantième anniversaire du film que « 2001 » fut projeté en salle Debussy au Festival de Cannes, le dimanche 13 mai 2018. Un grand moment de cinéma, en présence de son interprète principal, Keir Duella, mais également de la fille du réalisateur, Katharina Kubrick et du coproducteur du film, Jan Harlan. Une séance ouverte par le réalisateur Christopher Nolan, avant de redécouvrir à l’écran l’œuvre de Kubrick dans son format d’origine. Une (re)découverte pleine d’émotion, dans cette salle inondée des symphonies Strauss et Khatchatourian. 50 ans plus tard, le temps n’atteint toujours pas la splendeur d’une œuvre résolument moderne autant dans son esthétique, que dans sa brillante utilisation du son. Comme son monolithe, il traverse les époques de son art, de 1968 à 2018, sans se fatiguer d’être vu et débattu. Une odyssée, celle d’un monument du septième art.