Polisse : le monde de demain

Quel rapport entre les films de Maïwenn, une confession autofictionnelle, une comédie sur le métier d’actrice et un film de genre sur la vie de la Brigade de Protection de mineurs? Les films de Maïwenn ont pourtant ceci de commun, ils évoluent au sein d’un microcosme quasi-nombrilique à la manière d’un documentaire. Là où la réalisatrice abordait dans Pardonnez-moi la question épineuse de l’enfance au sein d’une famille conflictuelle, Le Bal des actrices transposait quant à lui ces rivalités au sein d’une autre famille, celle du cinéma. Impression d’instants volés, de secrets dévoilés au grand jour, les films de Maïwenn se caractérisent par une économie de moyens au service de la narration. Caméra à l’épaule, image parfois de mauvaise qualité, peu importe du moment que le propos soit comme saisi sur le vif. Un cinéma ultra-réaliste dans lequel le sentiment de véracité prime sur le beau. Un travail de vidéaste tel un film privé pour grand écran. Maïwenn s’attache à brouiller les pistes. Entre fiction et réalité, les frontières sont ici infimes. On pourrait dès lors lui reprocher cette sphère presque trop intime mais c’est pourtant avec une justesse déconcertante qu’elle aborde la complexité des rapports humains universels. La confrontation à l’autre semble être, à chaque fois, l’essence-même du scénario au service d’une quête de vérité. Un cinéma en marge des productions françaises actuelles, oscillant constamment entre intimité et familiarité, entre autobiographie et bribes de vie fantasmées. Avec Polisse, l’univers est moins étroit, moins autocentré mais tout aussi articulé entre champ privé et réalité du terrain pour cette brigade un peu spécifique.

Que nous présente d’ailleurs Polisse? Un quotidien accablant et un constat terrible sur la société française d’aujourd’hui, en espérant que ce ne soit pas le monde de demain.

Maïwenn a pourtant échappé de peu à la catastrophe. Avant d’envisager le tournage de Polisse, elle était en effet engagée dans l’adaptation de Rien de grave, le roman de Justine Lévy sur les affaires de cœur de la fille de BHL, Raphaël Enthoven et une certaine Carla Bruni. Mais son intuition lui souffle qu’elle fait fausse route. Elle se désengage du projet et choisit de se lancer dans un style de film qui lui fait peur, le film policier, genre auquel elle ne s’est jamais confrontée. De manière non concertée, elle élargit donc à chaque film son univers et progresse à chaque fois. De son Moi envahissant, elle est passée à l’Autre. Néanmoins, elle continue à se projeter dans l’Autre puisque ce sont les enfants blessés physiquement ou psychologiquement, comme elle l’a été, qui requièrent cette fois-ci toute son attention.

Polisse est ainsi un film choral qui décrit le quotidien du service de la BPM (Brigade de protection des mineurs). Il est inutile de le comparer au film quasi-homonyme de Pialat (Maïwenn se réfère bien davantage à Short cuts de Robert Altman, l‘un de ses films préférés) sinon pour constater qu’il en reprend la plupart des données stylistiques: filmage à l’arraché et concentration sur des personnages fort nombreux que Maïwenn traite avec une équité presque parfaite. La difficulté du film choral consiste à pouvoir traiter tous ses personnages sans en perdre un seul et à leur accorder à tous un minimum d’intérêt. Pari réussi ici, la leçon de Robert Altman a porté ses fruits et l’on peut promettre un beau futur de réalisatrice à Maïwenn, tant la marge de progression franchie a été grande entre ses premiers films et celui-ci. Le plus extraordinaire, c’est que, contrairement à ce que l’on aurait pu penser, la durée du film apparaît pleinement justifiée- plus le film avance, meilleur il devient- car elle permet d’entrer encore plus dans la vie de ce service et de ces brigadiers qui font œuvre de salubrité publique. 

On pourrait malgré tout critiquer un style brouillon, presque télévisuel (le film est une tranche de vie qui peut s’apparenter à un feuilleton télé) mais Maïwenn n’a jamais été, du moins pour l’instant, une styliste de la caméra. Son filmage est brut, sans afféteries, comme celui de Ken Loach ou des Dardenne. Tout repose alors sur la direction d’acteurs; or Maïwenn est à l’instar de ses pairs, une exceptionnelle directrice d’acteurs. En émerge néanmoins, surtout du fait de son talent intrinsèque, l’immense Joey Starr, dans un contre-emploi absolu de flic, qui s’impose en quelques répliques comme un acteur-né(déjà entrevu en second rôle dans Le Bal des actrices) et crève littéralement l‘écran. Un tel naturel ne court pas les rues: il dit ses répliques comme il les pense, sans donner jamais l’impression de les avoir apprises. En lui, on aperçoit le fantôme du jeune De Niro de Mean Streets et de Taxi Driver, toujours juste et précis, y compris dans l‘hystérie. Le duo Marina Foïs et Karin Viard, en fliquettes trop inséparables, est aussi très marquant, Karin Viard héritant d’une scène de pétage de câble assez mémorable. Mais il faudrait quasiment citer toute la distribution: la jeune Alice de Lencquesaing, bouleversante, en jeune fille violée, Sandrine Kiberlain qui s’aperçoit de l’ignominie de son mari, Frédéric Pierrot en chef d’équipe, etc. Maïwenn a la suprême modestie de s’octroyer le rôle le moins intéressant du lot, photographe-témoin qui représente notre regard sur la vie de ce service. 

Que nous présente d’ailleurs Polisse? Un quotidien accablant et un constat terrible sur la société française d’aujourd’hui, en espérant que ce ne soit pas le monde de demain: des jeunes filles qui se font violer et qui trouvent cela presque normal, des attouchements d’un grand-père sur sa petite-fille, des parents qui ne font plus la différence entre tendresse et sexualité, des adolescentes prêtes à tout pour conserver leur téléphone portable, etc. Le dégoût monte très vite, ce qui peut justifier la séquence finale où une mise en parallèle est faite entre la chute d’une adulte et l’élévation d’un enfant. Mais c’est le mouvement de la vie qui l’emporte, ainsi l’a décidé Maïwenn dans son dernier plan, ainsi que dans la plupart des séquences où l‘horreur n‘exclut pas le comique. Qui, mieux que Maïwenn, pouvait traiter un tel sujet, elle qui n’a cessé de lutter contre son enfance blessée?

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RÉALISATEUR : Maïwenn
NATIONALITÉ : français
AVEC : Marina Foïs, Karin Viard, Joey Starr, Maïwenn
GENRE : Drame
DURÉE : 2h07
DISTRIBUTEUR : Mars Films
SORTIE LE 19 octobre 2011