Maestro : le sacrifice d’une femme

Le biopic de Leonard Bernstein a longtemps été un serpent de mer cinématographique, convoité par les plus grands metteurs en scène contemporains, de Steven Spielberg à Martin Scorsese. A l’arrivée, c’est Bradley Cooper, pour son deuxième film, après le carton mondial de A Star is born, qui s’y est collé. Steven Spielberg qui devait mettre en scène le film, était bien trop occupé par le remake de West Side Story, sur lequel il fondait beaucoup d’espoirs, a vu le premier film de Bradley Cooper et au bout de vingt minutes (les meilleures du film), a décidé de lui confier le projet, se contentant du rôle de producteur, tout comme Martin Scorsese. C’est donc, épaulé de prestigieux parrains, comparables à Clint Eastwood pour A Star is born, que Bradley Cooper s’attaque à la vie d’une des légendes de la musique américaine, auteur entre autres de la musique de West Side Story. Il en tire un biopic honnête où l’on ne comprendra pas forcément l’essence et les sources du génie musical de Leonard Bernstein, si ce n’est qu’il explique son épanouissement par le sacrifice allant jusqu’à l’abnégation de son épouse Felicia Montealegre.

Dans les années 40, Leonard Bernstein, jeune assistant de chef d’orchestre, se fait connaître en remplaçant au pied levé le chef d’orchestre titulaire lors de la retransmission radiophonique d’un concert dans tous les Etats-Unis. Quelques temps plus tard, il rencontre Felicia Montealegre, une jeune comédienne surdouée de théâtre et en tombe amoureux…

Un biopic honnête où l’on ne comprendra pas forcément l’essence et les sources du génie musical de Leonard Bernstein, si ce n’est qu’il explique son épanouissement par le sacrifice allant jusqu’à l’abnégation de son épouse Felicia Montealegre.

Les spécialistes de Leonard Bernstein, qui auraient voulu tout comprendre de son oeuvre, en seront sans doute pour les frais. Tout au plus, Bradley Cooper montre-t-il une ou deux répétitions et un concert qui témoignent surtout de la fabuleuse énergie déployée par le chef d’orchestre. Il choisit en fait de déporter l’intérêt, du chef d’orchestre vers la femme qui a édifié les conditions de sa réussite, transformant ainsi une success story relativement banale en passionnant mélodrame sirkien, pas si éloigné des relectures modernes effectuées par Todd Haynes (Loin du paradis, Carol) ou plus récemment par Katell Quillévéré (Le Temps d’aimer).

Car le véritable sujet est l’homosexualité de Leonard Bernstein et la manière dont une femme a accepté de l’aimer pourtant en toute connaissance de cause, se sacrifiant presque pour lui. Comme l’on dit souvent, derrière tout grand homme, il existe une femme. D’une certaine façon, il s’agit presque de l’histoire du couple Agnès Varda-Jacques Demy, le destin ayant inversé les sorts terminaux. Certes nous ne sommes ni chez Fassbinder ou Pasolini, les relations homosexuelles ne sont pas montrées de manière crue ni d’ailleurs exposées tout court. Mais courageusement, Maestro ne fait point l’impasse sur le sujet, en montrant simplement des embrassades et câlins intimes qui sont tout sauf équivoques.

Maestro partage beaucoup de points communs avec A Star is born : un couple dysfonctionnel d’artistes, rongé par une addiction de l’homme (alcoolisme ou relations homosexuelles) ; une construction similaire en deux parties, la première euphorique sur l’amour fou et instantané, la deuxième accompagnant le déclin d’un amour qui va voir l’élimination d’un des deux partenaires ; une même manière de réussir la description de la passion et d’avoir la main un peu lourde dans le dénouement plus mélodramatique. A ce jour, Bradley Cooper commence toujours mieux ses films qu’il ne les finit.

Pourtant Maestro est incontestablement une oeuvre de cinéma, où s’exerce une véritable réflexion sur la mise en scène. En témoignent les très belles idées visuelles qui parsèment le film : la dichotomie noir et blanc/couleur, presque un cliché dans un biopic depuis JFK et Oppenheimer, les raccords de montage entre scène privée et scène publique, la scène de dispute filmée en plan fixe éloigné, ou encore la séquence où Bernstein est filmé, s’évertuant à diriger l’orchestre jusqu’à ce que la caméra s’éloigne pour s’arrêter sur l’épaule d’une femme (Felicia).

Mais Maestro n’existerait pas sans des comédiens exceptionnels : Bradley Cooper, arborant lentilles de couleur et nez postiche, à la manière de Nicole Kidman dans The Hours, pour se faire la tête de Leonard Bernstein : mais surtout Carey Mulligan qui n’a même pas besoin de ces adjuvants pour nous émouvoir. Il lui suffit de quelques regards éplorés et sourires contraints pour nous faire comprendre la détresse d’une femme qui s’est enfermée dans son propre piège. Dans ses sourires mélancoliques, se lit tout le prix de la réussite de Leonard Bernstein.

3.5

RÉALISATEUR : Bradley Cooper 
NATIONALITÉ :  américaine 
GENRE : biopic, drame, romance, musical
AVEC : Carey Mulligan, Bradley Cooper, Maya Hawke, Matt Bomer  
DURÉE : 2h09  
DISTRIBUTEUR : Netflix 
SORTIE LE 20 décembre 2023