Depuis les Grands Tragiques Grecs, le mélodrame est l’une des formes les plus accomplies de l’art de la scène. Il a connu son apogée au dix-neuvième siècle sous sa forme théâtrale. Le cinéma s’en est bien entendu emparé et certains mélodrames font partie des plus beaux films de l’histoire du cinéma : en remontant au cinéma muet, les mélodrames de David Wark Griffith avec Lilian Gish (Le Lys brisé, Les Deux Orphelines, A travers l’orage) ceux de Frank Borzage (L’Heure suprême, L’Ange de la rue, Lucky Star) mais également lors du cinéma parlant, dans un flamboyant Technicolor, les films de Douglas Sirk (Le Secret magnifique, Ecrit sur du vent, Mirage de la vie), Vincente Minnelli (Thé et sympathie, Comme un torrent, Celui par qui le scandale arrive), Nicholas Ray (Derrière le miroir, Traquenard), tout cela pour aboutir à ceux de l’époque moderne, d’auteurs souvent gays, Rainer Werner Fassbinder (Le Marchand des quatre saisons, Tous les autres s’appellent Ali, L’Année des treize lunes), Pedro Almodóvar (Etreintes brisées, Julieta, Madres paralelas), Todd Haynes (Loin du Paradis, Carol), voire François Ozon (Sous le sable, Le Temps qui reste, Frantz). C’est bardé de ces références incontournables que l’on allait donc voir en toute confiance Louise, premier film de Nicolas Keitel, Prix Cinéma 2025 de la Fondation Barrière et Prix du Public du Festival de Saint-Jean-de-Luz.
Suite à un incident, la jeune Marion décide de fuguer du domicile familial. Elle démarre alors une nouvelle vie sous une autre identité : Louise. Quinze ans plus tard, « Louise » retrouve la trace de sa sœur et de sa mère. Petit à petit, elle réapprend à les connaître sans leur dévoiler son identité. Alors qu’elle renoue avec son passé, un dilemme s’impose à elle : rester Louise ou redevenir Marion…
Le mélodrame peut susciter l’émotion à condition de ne pas la convoquer à coups de marteau-piqueur, en surlignant à chaque fois les moments où les pleurs du spectateur sont demandés, voire exigés.
Le mélodrame est, selon la définition consacrée, un drame populaire se caractérisant par des situations invraisemblables, exagérément compliquées et tragiques, et des personnages manichéens. Reconnaissons à Nicolas Keitel une certaine audace dans le choix pour son premier film de ce genre qui pourrait paraître galvaudé à maints égards aujourd’hui. Ainsi, le mélodrame relève surtout du style du metteur en scène et est une grande affaire de dosage entre éléments improbables et vérité de l’émotion qu’on recherche de manière inlassable. On ne saurait donc blâmer Nicolas Keitel de placer son film sous l’égide de la lutte contre les violences conjugales puisque tel est l’incident qui enclenche le drame du film : la maltraitance d’un nouveau compagnon à l’égard de la mère de la jeune Marion, ce qui va conduire de fil en aiguille cette dernière à quitter brutalement le domicile familial.
Pourtant si ce prétexte dramatique peut paraître nécessaire et légitime, il n’est en aucun cas suffisant. Car Nicolas Keitel va ensuite construire son film sur une suite d’événements invraisemblables (un incendie sortant de nulle part) ainsi qu’une alternance de flash-backs poussifs et de retours au présent téléphonés qui ne pourront mener à la lecture du synopsis qu’à une seule solution viable et tristement prévisible : des retrouvailles émouvantes, trop émouvantes… L’interprétation ne se trouve nullement en cause car nous assistons au sein d’une triade prometteuse au retour très attendu de Diane Rouxel, une des jeunes comédiennes les plus prometteuses de sa génération, accompagnée par l’excellente Cécile de France et la jeune Salomé Dewaels. On imagine d’ailleurs très bien Diane Rouxel, magnifique actrice, au demeurant, se conformer strictement aux consignes de son metteur en scène : ne pas pleurer mais se trouver constamment au bord des larmes, dans une attitude figée et éplorée de statue de marbre. Sauf qu’en étant au bord des larmes, il paraît absolument inconcevable que ses interlocutrices ne le remarquent pas et ne finissent pas par s’interroger sur cette étrange journaliste qui tient tellement à les interviewer, en ayant perpétuellement les yeux embués.
Le mélodrame peut susciter l’émotion à condition de ne pas la convoquer à coups de marteau-piqueur, en surlignant à chaque fois les moments où les pleurs du spectateur sont demandés, voire exigés. C’est donc bien une question de dosage : ne pas en rajouter sur les événements invraisemblables (un seul suffit dans la plupart des mélodrames de Douglas Sirk), ne pas les enchaîner sous le prétexte d’un mauvais sort de la fatalité (l’incendie est vraiment superfétatoire), inscrire les différentes circonvolutions de l’intrigue dans un contexte réaliste crédible, ne pas abuser des situations à forte teneur potentielle lacrymale en les reproduisant à répétition. Malheureusement on peut affirmer que Nicolas Keitel franchit à chaque fois la ligne jaune, – direction d’acteurs inappropriée, scénario accumulant les invraisemblances, absence de finesse générale dans la mise en scène – y compris malheureusement dès le début de son film, dans une rare démonstration de niaiserie, en montrant des gamines s’époumonant à chanter un tube à la mode, sous prétexte de montrer le lien profond existant entre deux soeurs, alors qu’il existait mille façons de l’exposer et de le faire ressentir de manière bien plus subtile, Si les bonnes intentions suffisaient à réussir de belles oeuvres, malheureusement, cela se saurait de longue date.
Comme écrivait André Gide, « c’est avec les beaux sentiments qu’on fait de la mauvaise littérature« . Pour le paraphraser, c’est avec les meilleurs sentiments qu’on fait – parfois, souvent – du mauvais cinéma. Les critiques qui ne s’en aperçoivent pas, – comme pour Emmanuelle, l’une des quelques catastrophes industrielles de ces dernières années, -devraient être renvoyés à leurs chères études, pour manque de lucidité cinéphilique, et avoir fait prendre de manière inconsciente aux spectateurs des vessies pour des lanternes.
RÉALISATEUR : Nicolas Keitel
NATIONALITÉ : française
GENRE : drame
AVEC : Diane Rouxel, Cécile de France, Salomé Dewaels, Noémie Lemaitre Ekeloo
DURÉE : 1h48
DISTRIBUTEUR : Apollo Films
SORTIE LE 10 décembre 2025


