Dès le deuxième jour, l’Etrange Festival a pris sa vitesse de croisière. Il commence vers 14h-15h, enchaîne trois séances jusqu’à la dernière entre 21 et 22h. Un rythme intense, moins frénétique que son confrère cannois, mais ménageant subtilement des pauses entre des séances parfois éprouvantes. Ce fut le cas ainsi ce jeudi avec le premier gros choc du festival mais ne devançons pas les épisodes.
Nous commençâmes par une des pépites de l’étrange. L’Etrange Festival est parfois en effet l’occasion de redécouvrir quelques films oubliés et de réhabiliter éventuellement certains metteurs en scène qui avaient quelque peu sombré dans un purgatoire cinématographique. On se souvient ainsi de cette projection de L’Obsédé qui nous a fait pour la première fois nous interroger sur William Wyler, le metteur en scène soi-disant académique de Ben-Hur, L’Obsédé clôturant une sorte de trilogie sur ce qu’on n’appelait pas encore les serial-killers, trilogie comprenant Psychose et Le Voyeur. Mauro Bolognini est plutôt méconnu dans l’éblouissante génération des cinéastes italiens des années 50-60 (Antonioni, Visconti, Fellini, Pasolini). Surnage surtout L’Héritage avec une troublante Dominique Sanda. Black Journal lui est immédiatement postérieur et fait figure de curiosité intéressante: Shelley Winters en précurseure de Kathy Bates, Max Von Sydow dans un double rôle surprenant, Laura Antonelli dépassant pour une fois sa réputation de comédienne de films érotiques italiens, une intrigue originale mêlant jalousie et cannibalisme…Pas inoubliable mais ayant toute sa place à L’Etrange Festival pour son portrait d’un monstre criminel.
Le grand choc de la journée était en revanche Relic de Natalie Erika James, premier film d’horreur ayant fait les beaux jours de Sundance en début d’année. On s’étonne de la maturité du regard de Natalie Erika James qui parvient dans son premier film à mettre en place une allégorie sur la dépendance des personnes âgées, tout en évitant tous les pièges des jumpscares. Le film fonctionne sur un décalage permanent des effets, un décadrage subtil ne filmant pas l’horreur en face mais la suggérant à chaque fois par un réel talent de mise en scène, une rétention pendant une grande partie du film à la manière de Impitoyable ou Taxi Driver, dans des genres différents, qui finit par exploser dans une libération orgasmique dans les dernières vingt minutes. Relic évoque par certains plans La Mouche, ce qui donne une idée de l’ampleur de la réussite de Natalie Erika James qui parvient à montrer simplement ce lien entre trois femmes de générations différentes, cette sororité qui va survivre à l’hydre du vieillissement et au spectre de l’abandon. Soulignons l’excellence de l’interprétation des trois comédiennes, Robyn Nevin, Emily Mortimer (Match Point, Shutter’s Island), Bella Heathcote (Dark Shadows, The Neon Demon). Magnifique.
La journée se termina de manière plus mitigée avec Tezuka’s Barbara, film japonais de Macoto Tezuka, le fils d’Osamu Tezuka, le célèbre auteur de mangas (Astroboy). Adaptant à nouveau un manga d’Osamu Teraka, cette histoire d’amour entre une clocharde alcoolique à la dérive et un écrivain à succès, pourrait évoquer de loin un néo-Godard, citations littéraires de Nietzsche ou de Verlaine à l’appui ou un Wong Kar-wai toujours maniériste (Les Anges déchus), malheureusement dénué de la qualité principale de ces deux auteurs, le rythme. La situation va s’inverser, l’écrivain à succès sombrant dans la clochardisation, et se terminera de manière très noire, c’est-à-dire la mort, la nécrophilie, l’anthropophagie (décidément!) seulement fantasmée…En fait le moment le plus émouvant se situera hors projection, avec l’actrice du film, la charmante Minami Bages, qui avait fait le déplacement pour présenter le film à l’Etrange Festival, dans un français parfait, (même meilleur que celui de Jodie Foster, ce qui n’est pas peu dire). On la retrouva après la projection, devant l’entrée du Forum des Images, quémandant les avis, interrogeant les visages masqués. Ce comportement montra à quel point le fait de mettre en scène, d’écrire ou de jouer, représente une demande d’amour ou d’affection, ce qui ne justifie certes pas un satisfecit sur le film, mais au moins une relative indulgence.
Rendez-vous vendredi pour une nouvelle journée!