Des films sur la Seconde Guerre mondiale, il en sort pléthore dans nos salles chaque année, et ce pour le meilleur comme pour le pire. En 2021, de grands réalisateurs choisissaient de parler de cette guerre dans des chronologies ou lieux différents, offrant des œuvres uniques en leur genre : Arthur Harari et son Onoda, Ari Folman avec Où est Anne Frank!, et Kurosawa et Les Amants Sacrifiés. Cette année, alors même qu’elle ne fait que commencer, la guerre de 39-45 s’est vue portée 4 fois sur nos écrans, via les très moyens L’Affaire Collini, Les Leçons Persanes et Une jeune fille qui va bien, et l’exception de Kornél Mundruczo, Evolution. Ainsi, si la production de films abordant cette sombre période semble assez accrue, la qualité de ces derniers est définitivement très variable. Mais jamais « quatre sans cinq », le premier film de Véra Belmont, Les secrets de mon père, est présenté cette année à Annecy, et on doit dire qu’en terme de qualité, il se rapproche bien plus de notre dernier exemple que des autres.
Michel et Charly, deux jeunes frères, grandissent en Belgique en plein milieu des années 60. C’est lorsqu’ils partiront à la découverte du passé de leur père, un rescapé d’Auschwitz refusant de leur partager son histoire, que le duo amorce l’aventure d’une vie, entre paternité sabotée et recherche d’identité.
Adapté de la bande dessinée autobiographique de Michel Kichka (le Michel du film donc), Deuxième génération, Les secrets de mon père entend parler du sentiment des survivants, mais en particulier ceux de la Shoah, qui n’ont pas pu parler librement quand la guerre fut terminée. Sûrement trop terrible à imaginer, les évènements et tueries y ayant eu lieu furent pour beaucoup niés, et la parole des victimes ainsi mise sous verrou. Pour aborder le sujet, le récit ne s’oriente donc pas directement vers le père, mais sur ses fils. Comment construire son identité sans éprouver son Histoire ? Comment comprendre autrui sans le connaître ?
Les secrets de mon père profite d’une écriture intelligente et d’une jolie animation
Parce qu’au fond, le film de Véra Belmont pourrait se résumer à cette idée centrale : une transmission double d’un père à son fils, d’abord d’un don, le dessin, qui accompagnera Michel durant toute sa vie, mais aussi celle d’une malédiction, le traumatisme de la Shoah, qui se passe de génération en génération telle une maladie. C’est dans cette dualité que Michel nage constamment, tiraillé entre un père passionné par son crayon, et condamné au mutisme par son histoire. C’est dans ce schéma que le film crée quelque chose de particulièrement engageant. Son traumatisme, non content de lui avoir gâché son adolescence, le poursuit jusqu’à l’empêcher d’élever correctement ses enfants. Au fur et à mesure, le patriarche taiseux s’ouvrira au monde, sortira de son silence, témoignera à maintes reprises pour la postérité, mais restera distant de ses fils, refusant de leur confier les épreuves qu’il a dû endurer.
Véra Belmont développe ici un autre versant de son récit, celui de l’importance de revisiter son passé, aussi traumatique soit-il, pour se le réapproprier. Peu à peu, le père se rendra compte du poids du silence d’abord imposé, puis intériorisé, et du pouvoir cathartique de la parole.
Les secrets de mon père profite ainsi d’une écriture intelligente et d’une jolie animation, le propulsant à une place de choix dans le beau panthéon que le cinéma d’animation francophone a bâti année après année.
RÉALISATRICE : Véra Belmont NATIONALITÉ : France, Belgique AVEC : Michèle Bernier, Arthur Dupont, Jacques Gamblin GENRE : Drame, Animation DURÉE : 1h14 DISTRIBUTEUR : Le Pacte SORTIE LE 21 septembre 2022 Projeté au Festival d'Annecy 2022.