Une Jeune fille qui va bien : dans l’oeil du cyclone

L’année 2021 se révèle être particulièrement passionnante pour la famille Lindon-Kiberlain. Pendant que la fille, Suzanne de son prénom, recueille souvent des louanges et parfois des quolibets pour son premier film Seize printemps, ayant obtenu le label Cannes 2020 et finalement sorti après moult retards en 2021, et que l’ex-mari, Vincent, a prêté main-forte à Julia Ducournau pour la Palme d’or 2021, Titane, en soulevant de la fonte et en se piquant (faussement) les fesses aux stéroïdes, la mère et ex-épouse, Sandrine, relevait un défi bien plus classique mais non moins risqué : raconter le quotidien d’une jeune fille juive pendant l’Occupation, dans Une Jeune fille qui va bien, son premier film, présenté lors de la 60ème Semaine de la Critique, en séance spéciale. Défi risqué mais plutôt réussi et relevé avec un certain panache, Sandrine Kiberlain assumant des partis pris assez forts et audacieux.

Irène, jeune fille juive, vit l’élan de ses 19 ans à Paris, l’été 1942. Sa famille la regarde découvrir le monde, ses amitiés, son nouvel amour, sa passion du théâtre… Irène veut devenir actrice et ses journées s’enchaînent dans l’insouciance de sa jeunesse.

Par sa délicatesse de touche, Une Jeune fille qui va bien évoque Stefan Zweig et la tendresse mélancolique qui enchante ses portraits de jeune femme. Grâce à une direction d’acteurs sans faille, Sandrine Kiberlain parvient à rendre bouleversant le destin suspendu d’une jeune fille promise à une belle carrière.

Pour raconter cette histoire de jeune comédienne juive passionnée par son art au point de n’éprouver que de la cécité pour son époque troublée, Sandrine Kiberlain a adopté un point de vue assez courageux : ne voir l’histoire, sauf l’épilogue, que du point de vue de son héroïne. C’est donc même l’Histoire avec un grand H qu’Irène contourne en vivant une existence de jeune fille quasiment normale. Kiberlain choisit ainsi de manière très audacieuse de ne pas dater par le langage, la mode ou les décors son film. Irène vit donc dans une bulle quasiment intemporelle, où seuls sa passion de l’art dramatique et ses rapports avec ses proches (famille, camarades, amis) rythment sa vie. On a presque l’impression de vivre le quotidien d’une jeune fille dans les années 2010 : taquineries du frère (Anthony Bajon, toujours excellent, remarqué dans La Prière, Tu mérites un amour, Teddy), complicité avec la grand-mère (Françoise Widhoff), frictions avec le père (remarquable André Marcon).

L’époque (la Seconde Guerre Mondiale) et l’appartenance à la communauté juive, n’apparaissent qu’en filigrane et prennent surtout de l’importance dans la dernière demi-heure. C’est lorsque ces deux lignes dramatiques, la vocation d’une jeune fille et le drame inévitable de l’Histoire, vont se rencontrer que la tragédie va survenir. Pendant ce temps, on aura vu vivre, courir et aimer une jeune fille pleine d’avenir (Rebecca Marder, exceptionnelle révélation cinématographique, dans son premier rôle, qu’on reverra certainement sur grand écran), toujours en mouvement, au point que la caméra s’épuise souvent à la suivre, s’évanouissant parfois, en s’étant enivrée du tourbillon incessant de la vie. On regrettera peut-être de temps à autre de trop nombreuses scènes de répétition de Marivaux (souvenir peut-être d’un film de Benoît Jacquot) qui alourdissent un peu le propos, mais ce n’est que broutille. Par sa délicatesse de touche, Une Jeune fille qui va bien évoque davantage Stefan Zweig et la tendresse mélancolique qui enchante ses portraits de jeune femme. Gràce à une direction d’acteurs sans faille, Sandrine Kiberlain parvient à rendre bouleversant le destin suspendu d’une jeune fille promise à une belle carrière. On n’est pas près d’oublier cette phrase interrompue qui suggère, sans insister, la manière injuste dont les soubresauts de l’Histoire ont privé bien des Irène d’un bonheur possible.

3.5

RÉALISATEUR : Sandrine Kiberlain 
NATIONALITÉ : française 
AVEC : Rebecca Marder, India Hair, Anthony Bajon, André Marcon, Françoise Widhoff 
GENRE : Drame, historique 
DURÉE : 1h38 
DISTRIBUTEUR : Ad Vitam 
SORTIE LE 26 janvier 2022