On avait laissé David Cronenberg sur le plan final des Crimes du Futur, mettant en scène Viggo Mortensen exprimant un état indéfinissable, à la limite du trépas : extase ou suffocation? Difficile à dire. Pourtant Les Crimes du Futur représentait une véritable résurrection pour le cinéaste canadien qui sortait de huit années de silence total, depuis Maps to the Stars qui avait valu un prix d’interprétation féminine à Julianne Moore. Cette résurrection s’avérait néanmoins mitigée : un accueil critique plutôt divisé et aucun prix cannois à l’arrivée. Alors que Les Crimes du Futur était une réactivation d’un scénario rédigé dans les années 2000, Les Linceuls a été écrit récemment, suite à la disparition en 2017 de l’épouse du cinéaste, Carolyn Cronenberg. Hommage discret à la femme aimée, tentative désespérée de terminer un travail de deuil, Les Linceuls adopte sans doute par pudeur la voie du thriller technologique, laissant inaboutie la piste pourtant prometteuse du mythe d’Orphée et d’Eurydice.
Karsh est un homme d’affaires renommé. Inconsolable depuis la mort de sa femme, il invente un système révolutionnaire et controversé, GraveTech, qui permet aux vivants de se connecter à leurs chers disparus dans leurs linceuls. Une nuit, plusieurs tombes, dont celle de sa femme, sont vandalisées. Karsh se lance dans une quête afin de retrouver les coupables.
Hommage discret à la femme aimée, tentative désespérée de terminer un travail de deuil, Les Linceuls adopte sans doute par pudeur la voie du thriller technologique, laissant inaboutie la piste pourtant prometteuse du mythe d’Orphée et d’Eurydice.
Les Linceuls commence très bien, par un cri existentiel filmé en gros plan qui n’est pas sans évoquer la fameuse toile de Munch, Le Cri. L’échange entre Karsh et son dentiste se révèle tout aussi savoureux : » le chagrin vous pourrit les dents ». Ensuite, une excellente séquence de drague avortée semble annoncer le retour de Cronenberg au plus haut niveau. La question que Karsh adresse à sa potentielle conquête féminine, c’est Cronenberg qui nous la pose: » avez-vous peur des ténèbres? » La tonalité est donnée : Les Linceuls sera un film noir, très noir sur l’obsession du travail de deuil, l’impossibilité d’oublier les personnes qu’on a aimées durant sa vie.
C’eût été bien, s’il en avait été ainsi. Les séquences oniriques semblent embrayer vers cette voie fantomatique : Diane Kruger interprète ainsi trois rôles, celui de la disparue, de sa soeur toujours vivante qui lui ressemble comme deux gouttes d’eau et enfin d’une intelligence artificielle, ce qui paraît prometteur pour le potentiel dramaturgique du film. Oui mais Cronenberg ne croit décidément pas aux fantômes, ce qui est regrettable car les meilleures scènes du film appartiennent à ce registre du deuil qui ne veut pas dire son nom.
Au lieu de cela, par pudeur probablement, Cronenberg nous embarque dans une histoire abracadabrantesque de pillage de tombes et de piratage technologique, où les Russes et les Chinois tenteraient de s’accaparer le marché lucratif des linceuls. A partir de l’apparition de Guy Pearce dans le rôle du frère de Karsh, le film finit par s’enliser dans des tunnels de dialogues, annihilant l’émotion très sobre qui pointait pourtant le bout de son nez, phénomène très rare dans un film de Cronenberg.
Tout cet attirail technologique laisse advenir malgré tout une beauté spectrale qui provient de la froideur à laquelle Cronenberg nous a habitués depuis Faux-Semblants ou Crash. Pourtant, ce qui demeure des Linceuls, ce sont ces séquences sardoniques où un mari, pour prendre conscience de la mort de sa femme, explore virtuellement les restes cadavériques de son corps. Provocation apparente ou plutôt croyance profonde que le corps est la seule réalité et rien ne sert de penser que l’âme pourrait survivre quelque part.
RÉALISATEUR : David Cronenberg NATIONALITÉ : canadienne GENRE : thriller AVEC : Vincent Cassel, Diane Kruger, Guy Pearce, Sandrine Holt DURÉE : 1h56 DISTRIBUTEUR : Pyramide Distribution SORTIE LE 25 septembre 2024