1. Vers un avenir radieux (Moretti, 2023).
Best-of Moretti. Non que le film soit son meilleur (halte au suspense, j’ai bien aimé), mais il fait défiler — de même que, dans un cortège festif, les comédiens de ses films — les thèmes types de son cinéma d’autarcique grincheux. Ce qu’il y a d’inédit, c’est que cette apparence de redite se fait sous le signe du vieillissement, et de l’angoisse qui l’accompagne. C’est parfois grossier — la séquence Netflix, et celle dite ’’de la violence au cinoche’’, sorte de mégamix entre la célèbre scène ’’Henry, Portrait of a Serial Killer’’ de Journal intime, et celle encore plus célèbre de la file d’attente au cinoche dans Annie Hall de Woody Allen. Je dis grossier, cependant les résonances de ces deux séquences me semblent au fond plus complexes que la caricature OK boomer qu’on peut être tenté d’en faire. Bon, je n’ai pas le courage de vous asséner un argumentaire qui démontrerait que la première est autre chose que prétexte à gag, téléphoné quoique drôle. Je vous entends vous exclamer, WTF, le mec comme il se défausse. Il faut toujours un moment WTF, voilà qui est fait, laissons cela voulez-vous, et causons de la deuxième, où le héros se fâche pendant le tournage d’une scène d’exécution mafieuse. Quelle en est la conclusion, si ce n’est que l’autarcique critique, à l’exigence éthico-esthétique démesurée, se retrouve tout seul comme un con avec la haute opinion de sa propre opinion.
Le film est en réalité le plus souvent subtil — le héros-réalisateur déchire le portrait de Staline, en expliquant qu’il ne veut pas de dictateur dans son film, alors que tout le monde sait que le véritable tyran sur le plateau, c’est lui. Plus tard, sa voiture des années 2020 se retrouve coincée dans un embouteillage de véhicules du siècle précédent. Vieillir, outre être la proie de divers maux physiques et psychiques, c’est aussi s’apercevoir que ce n’est pas tellement soi, mais — constatation peut-être encore plus cruelle — le monde autour qui a changé sans prévenir. Tout ça pourrait ne constituer que ruminations de vieux croûton, d’une, si la mise en scène, dont le rendu rhapsodique ne perturbe jamais la limpidité du discours, n’était tout ce qu’il y a de virtuose. Et surtout de deux, si l’émotion ne surgissait sans crier gare à maintes reprises — émotion décuplée par l’utilisation judicieuse de chansons populaires, procédé aussi rebattu que redoutablement efficace. Sono solo parole, et pourtant.
2. Asteroid City (Anderson, 2023).
Train-train. On commence et finit par ça, un train, on est 100% dans le thème modèle réduit. Vous vous souvenez peut-être que, malgré mes réserves au départ, j’avais été convaincu par The French Dispatch. Surtout par la grâce du personnage d’écrivain, interprété par Jeffrey Wright dans le dernier segment, qui hissait le film à de belles altitudes émotionnelles, au-delà de l’amélie-poulainisation qui guette le cinoche de Wes Anderson. Hélas, ici, électrocardiogramme plat. Tout m’a semblé factice et petit, y compris l’histoire du deuil, qui n’apporte aucune profondeur aux personnages en carton qu’il est censé affecter. Continuons dans le thème circuit/train électrique, la virtuosité de la mise en scène tourne en rond, on voudrait qu’il se passe quelque chose, qu’Anderson casse ses jouets, que Bip Bip se fasse pour une fois bouffer par le Coyote. Mais non, d’ailleurs il n’y a pas de coyote. Qu’il se fasse écraser par le train, alors. Mais non plus. Les scènes qui organisent un dérèglement montrent, à l’instant d’après, les choses rentrées dans l’ordre, et même mieux que ça, parfaitement rangées. Bref, déception.
3. Il Boemo (Vaclav, 2023).
Biopic sur Josef Mysliveček, 1737-1781, compositeur né à Prague, qui connut de son vivant la gloire en Italie grâce à ses œuvres lyriques, avant d’être complètement oublié. Ça se regarde, même si je n’ai pas été emporté — il semblerait ces derniers temps que votre humble serviteur ait un truc avec le besoin d’émotion —, ni par la musique, qui m’a fait un effet plan-plan baroque, ni par le récit, classiquement rise and fall. Exception, la scène de la rencontre avec Mozart enfant, où, dans l’émerveillement suscité par le génie du jeune prodige, quelque chose de l’ordre du supra-humain touche soudain film, personnage et spectateur. Pour le reste, l’acteur principal Vojtěch Dyk a un genre de beauté impersonnelle qui fait penser un peu à Harrison Ford (non, je ne suis pas allé voir le nouvel Indiana Jones), et beaucoup à Ryan O’Neal — et donc à Barry Lyndon. La comparaison joue en la défaveur du Boemo, dont par-dessus le marché les notations féministes au goût du jour m’ont paru trop appuyées pour être honnêtes. Pas si mal quand même, mais un peu déçu.