Who by fire. Ou bien, partie ? Ce dernier mot dans les deux sens du terme, tant le film, qui fait le portrait diffracté-fragmenté d’une femme tourmentée qui s’en va, est un jeu — de pistes. J’ai peur d’en dire plus, car il est peut-être préférable de le voir sans trop en savoir. C’était en tous cas mon cas, et j’ai été transporté. Alors OK, c’est Amalric, donc c’est formaliste et cérébral, cependant subjectivité quand tu nous tiens, Serre moi fort n’est pas sans rapport dans sa thématique avec Drive my car — on y voit du reste une voiture encore plus exotique que la Saab 900 de Hamaguchi —, mais autant j’avais trouvé DMC artificiel voire chichiteux, autant j’ai été captivé et même bouleversé par SMF. C’est que tout est dans les détails. La voiture est insolite — à tel point que marque et modèle ont beau être cités au générique, ça ne me disait rien, et je ne me souviens plus de ce dont il s’agit —, mais elle est d’allure plus modeste, moins tape-à-l’œil. Et surtout, là où le film japonais se paie de mots, Tchékhov gnagnagna, celui d’Amalric est avant tout sensoriel. Ainsi les premières images sont-elles rythmées par des bruits de respiration, vecteurs a posteriori d’une émotion poignante. Et puis, comment voulez-vous que je n’aime pas un film où il y a autant de piano, de la tarte à la crème pour débutants AKA la Lettre à Élise, jusqu’à une étonnante pièce de Ligeti, où toutes les notes sont des la ?
L’artiste était présent à la séance où je suis allé — à Pantin, si vous voulez tout savoir —, et a répondu avec générosité et drôlerie aux questions des spectateurs énamourés. Fine mouche, il recommande d’aller voir son film deux fois, et au fond il n’a pas tort : je parle d’émotion poignante, et j’ai peur d’en dire plus, mais si ça se trouve celle-ci est augmentée, ou en tous cas différente, quand on sait de quoi il retourne. Oui mais, pourquoi Who by fire, demanderez-vous. Le rapport est oblique, et si vous connaissez la chanson vous le comprendrez en allant voir le film. Les réfractaires diront que d’oblique à cuistre il n’y a qu’un pas. Le pas de côté, c’est ce que se propose de faire Serre moi fort, au risque de la cuistrerie et de l’inintelligibilité — risque réel, si l’on en croit les questions de certains spectateurs. Mais plutôt qu’avec l’immense Leonard Cohen, c’est sur une chanson de son presque voisin dans les bacs des disquaires, je veux parler du non moins immense JJ Cale, que l’histoire se termine. Vous avez compris que j’ai beaucoup aimé le film, cerise (astuce) sur le gâteau, j’étais super content qu’il me fasse pour ainsi dire découvrir ce deep cut de Troubadour. Je suis méga fan de JJ Cale, et pourtant je n’avais jamais vraiment remarqué combien ce morceau, Cherry, est excellent.