Est-ce son apparition dans le dernier Spielberg qui m’a donné envie de revoir la série du démiurge à la voix de canard, les voies du cinoche sont impénétrables. Je ne regarde jamais de série, les quelques épisodes des Sopranos ou de Breaking Bad que j’ai pu voir ne m’ont pas donné envie de pousser plus loin. Oui, je suis au courant, il y en a plein de bien, mais on ne peut pas tout faire dans la vie. Il faut choisir, prenons au hasard la lettre W, intégrales Wang Bing et Wiseman Frederick. Et Wajda Andrzej, que Dieu me vienne en aide. Cependant, la personne chère à mon cœur ayant, à l’époque de sa parution, acheté le coffret DVD des Pics jumeaux saison 3, j’avais quand même fait une exception — en plus, j’avais vu les saisons précédentes grâce à mes colocs quand j’étais étudiant.
C’est les vacances, je me suis sottement coupé le pouce et ne peux pas tellement jouer de piano, résultat je tourne encore plus en rond que d’habitude. Souffrez donc quelques réflexions impromptues sur divers aspects de la chose, qui me viennent à la re-vision. D’abord, les différents registres sont dosés à la perfection. Policier, burlesque, horreur, romance, absurde beckettien, tout y est pour composer le bloody mary ultime. Évacuons tout de suite ce que j’aime le moins, à savoir les interludes musicaux, avec groupes plus ou moins hype qui interprètent leurs chansons au Bang Bang Bar. Playbacks au mieux inoffensifs, mais dans l’ensemble un poil pénibles. À ces moments, j’ai souvent envie d’appuyer sur avance rapide, mais parfois, il se passe des trucs en même temps dans le public, alors non. Dommage, parce que sinon la bande-son est aux petits oignons, of course.
L’espèce de cosmogonie compliquée que développe la série m’évoque un peu celle de la saga Alien. Peut-être à cause de l’abominable bestiole dont l’œuf éclot à Los Alamos, 11 ans après l’explosion atomique, lors de cet épisode mémorable où intervient, comme autre référence évidente, 2001 et son voyage psychédélique multicolore. Ces références s’insèrent sans heurt dans le mélange kitsch sulpicien (intérieurs de la demeure du Fireman cosmique) et crade terrifiant (convenience store aux sinistres fantômes barbus), qui, lui, n’appartient qu’à Lynch. Soit dit en passant, j’aime bien que les effets spéciaux soient des plus rudimentaires — ça ne peut jamais vieillir, puisque c’est démodé dès le départ.
Ce qui est bien, surtout, c’est qu’on se demande ce que pense Lynch de tout ça. Il ne juge jamais vraiment, en tous cas s’amuse à laisser planer le doute sur ses opinions. Par exemple, glorification de la petite vie de famille confortable dans la suburbia bien peignée des Américains middle class, avec le personnage de Naomi Watts. Suivie d’une critique du capitalisme quand Peggy Lipton — j’utilise le nom de l’actrice car c’est un prénom que j’aime beaucoup —, la patronne du diner, finit par refuser les propositions de franchise qu’un commercial libidineux lui fait. Lors de cette scène, Lynch joue on ne peut plus clairement avec le public, en lui faisant croire, au son d’I’ve Been Loving You Too Long d’Otis Redding, que oui, ladite Peggy et son amoureux de toujours pourront enfin se retrouver. Puis que non, etc. Cet aspect ludique, ce surplomb mais un peu de côté, cette tendresse pour les codes du soap autant que de l’American way of life, tendresse qui s’exprime alors même que ces codes sont subvertis, et qu’est révélé ce dont il retourne en réalité (violence et bêtise, en gros), c’est la manifestation de la bonté de Lynch — que sa persona publique exsude, du reste. C’est plus d’une fois émouvant.
Dernier aspect, qui à mon avis a à voir, l’amour porté aux comédiens, qui semblent constituer une famille. Ne peut-on pas voir Twin Peaks comme un long documentaire — façon Wang Bing, ou Wiseman Frederick — sur Kyle MacLachlan. Il sait tout faire, du chaplinisme de Dougie-l’innocent à l’eastwoodisme de Cooper-le-mauvais. Sans oublier tous les autres acteurs, y compris ceux qui ne sont plus là 25 ans plus tard — une pensée pour les poignantes apparitions d’outre-tombe de Catherine E. Coulson.