L’Été dernier, le retour, ou bien, que se serait-il passé si la vieille peau December avait laissé tomber son barbon pour convoler avec l’ado May — on pourrait dire, January, vu qu’il avait au départ 13 plutôt que 17 ans comme dans le film de Breillat. Au moins aurai-je appris cette expression anglo-saxonne, May-December, qui qualifie les couples où il y a une grande différence d’âge. La description de l’union scandaleuse, elle-même inspirée de faits réels, est compliquée d’une intrigue qui raconte la visite d’une actrice aux époux, alors que se prépare le tournage d’un film sur eux. Dans le film, Julianne Moore joue Gracie Atherton, inspirée de la dénommée Mary Kay Letourneau (morte d’un cancer en 2020). Dans le film dans le film, Natalie Portman joue Julianne Moore. Vertige du postmodernisme.
Je suis sorti de la salle plutôt conquis, mais à la réflexion je ne sais pas. L’ironie suprême de Todd Haynes séduit, jusqu’à un certain point. Dialogues à punchlines, festival de grimaces, BO au diapason — le thème ultra lyrique composé par Michel Legrand pour Le Messager de Losey est appliqué aux moments les plus prosaïques —, c’est constamment et méchamment drôle. Cependant au bout d’un temps, cette séduction s’estompe. Je ne sais pas si c’est uniquement dû à la dernière partie du film, en tous cas je m’interroge, Où voulez-vous en venir. Prenez la description du couple. On sent que le réalisme est un paramètre important, c’est inspiré de faits réels, on a envie de savoir comment il est possible qu’un tel couple dure dans la vraie vie, il y a tout un contexte de voisinage, d’ex-mari et d’enfants du premier lit qui est prégnant. Cependant ce réalisme est affaibli, parce que ce qui était le nerf de la guerre dans L’Été dernier — l’héroïne ne quittait pas son vieux mari pour ne pas mettre en péril les apparences et son confort bourgeois — est évacué. Vingt ans après, le couple a trois grands enfants, ils habitent une belle maison au bord de l’eau, elle ne travaille pas depuis qu’elle est sortie de prison, il bosse à l’hôpital — est-il opérateur en radiologie —, mais sans plus, il glande surtout devant des tutos de bricolage, et élève des papillons. Bref, l’argent n’est pas un problème, pan dans les dents, le réalisme.
Prenez la visite de l’actrice, et son rapport avec son modèle. Natalie Portman avec son petit carnet et ses imitations des grimaces de Julianne Moore est très amusante, de même que de voir son travail Actors Studio se réduire façon peau de chagrin à la dernière séquence. Attention spoilers, à la fin, le film dans le film se tourne, il est aussi grotesque que le téléfilm dans le film sur l’affaire, antérieur et dont on voit un extrait à un moment. On se demande s’il l’est tellement plus que le film lui-même. Vertige du postmodernisme, mais ce vertige n’est-il pas un peu vain, je ne peux m’empêcher de me le demander. Je ne sais pas si ça va avec, mais les effets de la mise en scène, pourtant d’une maîtrise absolue, finissent par se diluer dans le convenu — surtout dans la dernière partie, que je mettais en cause au paragraphe précédent, où ne subsiste plus aucun doute sur le caractère monstrueux de l’épouse, où la crise qui couvait explose à bas bruit, où les papillons éclosent et s’envolent, où le mari filmé derrière un grillage parvient à le franchir (cf. illustration).
Reste en mémoire ce personnage du mari. L’acteur est super, et il y a un discours explicite sur son physique, duquel émane une force tranquille qui n’est pourtant qu’apparente. Le film se moque beaucoup — et oui, c’est drôle, mais aussi lourd, je crois que malgré la belle image vaporeuse-pastel qui magnifie les vieux chênes du centre-ville de Savannah, Géorgie, c’est pour moi là que ça ne va pas —, mais jamais de lui, victime dont la souffrance rentrée, qui finit par s’écouler doucement, ne peut qu’émouvoir.