L’Eté dernier : belle-mère

Catherine Breillat, qu’on croyait perdue pour le cinéma, revient à Cannes, après une absence de seize ans, sa dernière venue cannoise, assez décriée datant de 2007 (Une Vieille maîtresse) et son dernier film, Abus de faiblesse, de dix ans. Depuis #MeToo est passé par-là et certains jugent bon de dénigrer Breillat qui n’a certes pas cessé de dévaloriser ce mouvement. C’est oublier un peu vite que Catherine Breillat, pendant longtemps, des années 80 à 2010, était l’une des seules réalisatrices françaises reconnues pour son talent indéniable et son intelligence affûtée. L’Eté dernier, projet initié par Saïd Ben Saïd, adaptation d’un film danois, Dronningen (plus connu sous le nom de Queen of hearts) de May el-Thouky, permet à Breillat de se remettre brillamment en selle, en tournant son film le plus classique, assez proche d’un thriller explosif, dans sa deuxième partie. tout en préservant sa dimension provocatrice et sulfureuse.

Une avocate renommée, Anne, est heureuse en couple avec Pierre, un riche bourgeois et élève deux filles adoptives vietnamiennes, Angela et Serena.  Lorsqu’elle rencontre Théo, le beau-fils de son compagnon, âgé de 17 ans, elle entame une liaison avec lui. Ce faisant, elle risque de mettre sa carrière en péril et de perdre sa famille. Au fil du temps, la relation se révèle destructrice et le jeune amant extrêmement susceptible.

Catherine Breillat parvient à exprimer de façon magistrale la quintessence d’une relation trouble, entre désir brut, amour pur et passion sauvage.

Le sexe a longtemps été le moteur et le point névralgique du cinéma de Catherine Breillat. Il ne l’est plus depuis Anatomie de l’enfer (2004), soit il y a presque vingt ans. Il est devenu un élément important de son univers, mais en restant périphérique, laissant bien davantage la place aux rapports de perversité et de chantage entre êtres humains, plus particulièrement entre hommes et femmes. Si l’on compare L’Eté dernier et Dronningen, on s’étonnera de constater que, même si Breillat ne fait pas l’impasse sur les scènes sexuelles nécessaires à l’intrigue, elles vont largement moins loin que celles de sa collègue danoise qui n’hésite pas à filmer explicitement fellation et levrette, avec la participation active de ses acteurs, dont l’excellente Trine Dyrholm. Contrairement à sa réputation sulfureuse, Catherine Breillat s’est assagie de ce côté-là, la collaboration de Léa Drucker posant sans doute des limites que Breillat ne s’aventure pas à franchir, n’étant plus passionnée par le sujet.

En revanche, ce qui fait de L’Eté dernier, le film le plus réussi de Breillat, d’un point de vue classique, c’est une assurance dans le style, l’écriture et le montage. Breillat est restée complètement subversive mais sa subversion ne se loge plus au même endroit. En filmant ce qui pourrait s’apparenter à un détournement de mineur ou une relation quasi-incestueuse entre belle-mère et beau-fils, elle ridiculise les tenants de la moraline, en nuançant fortement le cas d’espèce : à l’évidence, ce détournement n’en est pas vraiment un car 1) l’adolescent a déjà 17 ans et semble loin d’être vierge, 2) et c’est délibérément lui qui prend l’initiative de la relation, en provoquant sa belle-mère et en redemandant à chaque fois de recommencer. S’agit-il d’un véritable premier amour, d’un simple béguin physique pour une femme plus âgée ou d’une vengeance à l’égard de son père? Breillat a l’intelligence de ne pas trancher, les trois hypothèses s’avérant aussi possibles l’une que l’autre.

Même si elle s’intéresse à Théo, cet adolescent plein de fougue et d’amour de la vérité, Breillat a surtout magnifiquement dépeint le personnage d’Anne, offrant à Léa Drucker l’un de ses plus beaux rôles. Avocate spécialisée dans les abus sexuels familiaux, Anne sombre paradoxalement dans le même travers qu’elle dénonce dans son activité. De plus, lorsqu’elle n’avoue pas à Théo l’identité du premier homme de sa vie, on devine sans difficulté qu’il puisse s’agir d’une personne de sa famille, voire son père. Prise dans une spirale infinie de la culpabilité, elle reproduit ce qu’elle dénonce, nous mettant ainsi devant les contradictions passionnantes de l’être humain. Par petites touches, on comprend progressivement qu’elle a toujours souffert d’appartenir à la génération Sida et d’avoir dû réfréner ses pulsions, se moquant de tous les normo-centrés. Lorsqu’elle doit sauver sa famille composée de son compagnon et de leurs filles adoptives, Anne a pourtant soudain dans le regard le réflexe d’une louve ou d’une tigresse, pour préserver sa bulle, quoi qu’il lui en coûte. Breillat parvient à capter en quelques expressions formidables de Léa Drucker, des éclats précieux de fausse sincérité, lorsqu’elle se défend face à son mari, ou lorsque sa soeur Mina lui pardonne (sans que rien ne soit dit explicitement, on imagine aussi qu’Anne a protégé sa soeur des abus de leur père).

En partant d’une trame extrêmement resserrée, Catherine Breillat parvient à en tirer de façon magistrale le maximum, en exprimant la quintessence d’une relation trouble, entre désir brut, amour pur et passion sauvage.

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RÉALISATEUR : Catherine Breillat 
NATIONALITÉ :  française 
GENRE : thriller, drame 
AVEC : Léa Drucker, Samuel Kircher, Olivier Rabourdin, Clotilde Courau 
DURÉE : 1h44
DISTRIBUTEUR : Pyramide Distribution
SORTIE LE 20 septembre 2023