Les Chroniques de Poulet Pou : nouvelles réflexions sur Killers of the Flower Moon de Martin Scorsese

J’avais beaucoup aimé le voir, j’ai beaucoup aimé le revoir. Les films se causent entre eux — tout se passe en réalité dans ma tête, inquiétez-vous mais pas trop —, le Scorsese avec les récents Glazer et, dans une moindre mesure, Dupieux. Vous connaissez le concept — un peu galvaudé — de la banalité du mal. Je ne suis pas certain que Rudolf Höss ait été le même type d’homme qu’Eichmann le bureaucrate zélé. A-t-il plus à voir avec Ernest Burckhart? Si Glazer reste à distance du commandant d’Auschwitz, Scorsese lui se tient près, tout près de son antihéros joué par DiCaprio. À qui a-t-on affaire, voyons voir. C’est un homme peu intelligent — ce qui me fait me souvenir avoir lu qu’il y a eu des tests QI des SS pendant leurs procès après la guerre, et qu’ils étaient en moyenne en-dessous de la moyenne —, il a connu la guerre (l’autre), y a été blessé et probablement traumatisé (cf. ses récits de morts violentes, grippe espagnole ou tranchées). Il est par ailleurs un voyou et un alcoolique. Cependant son implication dans le complot criminel que raconte le film est ambiguë. Il participe, mais on s’interroge. Sa cupidité ne semble pas égale à celle de ses complices. Son amour pour son épouse semble véritable. Obéit-il parce qu’il est sous l’emprise de son oncle? Le fait-il en toute connaissance de cause — oui, certainement, même s’il n’en donne pas l’air. Look at me like this makes sense. Est-ce la ruse des idiots, qui profitent de leur idiotie pour faire comme si tout ça les dépassait, et ainsi se croire innocents? Ou est-ce le moi qui n’est jamais le même d’heure en heure, qui fait qu’on est capable d’oublier l’ancien, coupable, et se croire indéfiniment changé en homme neuf, comme dans Daaaaaalí! on change d’acteur en changeant de plan?

Est-ce la douleur de la perte d’un enfant qui lui donne enfin le courage de désobéir, et trahir son oncle? Cependant il trébuche une dernière fois sur le chemin d’une hypothétique rédemption — il avoue tout, sauf à son épouse que chaque jour, il l’empoisonnait. Pourquoi n’y arrive-t-il pas? Pensait-il que le poison n’était pas mortel? Just to slow her down. Mais dans ce cas il pourrait l’avouer. Ses préjugés racistes et misogynes lui font-ils la prendre pour encore plus idiote que lui. I know that’s hard for you to understand as Osage. Avoir lui-même consommé le poison lui fait-il s’imaginer qu’il est au fond innocent, puisque victime? S’illusionne-t-il avoir rêvé tout ça, alors que dans un gigantesque incendie des diables dansaient sous ses fenêtres? Avant qu’on le quitte pour toujours, l’idiot se retourne une dernière fois vers le flic-spectateur, comme à la recherche d’un salut qui n’existe pas. Comprend-il sa faute? Le mystère reste entier, planqué derrière la grimace invraisemblable de DiCaprio — dont l’interprétation hisse la crapule bête et méchante au rang de héros tragique.