J’aime les films de Mouret — du reste de plus en plus, son précédent (Les Choses qu’on dit, les Choses qu’on fait) m’avait autant charmé qu’il m’avait impressionné par son ampleur, et la tranquille assurance qui s’en dégageait. Cependant je ne sais pas pourquoi, cet après-midi je n’avais pas tellement envie d’aller voir le nouveau, Chronique d’une liaison passagère. Enfin, je ne sais pas pourquoi, façon de parler, en réalité je sais exactement, vous allez comprendre sans peine. C’est dimanche, il fait beau, votre visage est caressé par la lumière et la tiédeur du soleil d’été finissant, vous flânez au bord de l’eau, et jouissez du privilège d’être au bras de la personne chère à votre cœur. Pourquoi faudrait-il remplacer ces plaisirs par le spectacle d’un énième marivaudage, aussi bien fabriqué soit-il ? Vous entrez dans la salle du cinéma en traînant des pieds. Or, quel plus beau compliment peut-on faire à un film, que d’avouer qu’il vous a plu malgré votre mauvaise volonté, malgré son sujet presque ? Je crois qu’il m’a plu en raison de l’adéquation — on parlerait de classicisme, si l’on n’avait peur que le mot puisse être entendu de façon négative — entre tous les éléments qui le constituent. Mentionnons au premier chef les comédiens parfaits.
Dans le précédent, je me souviens avoir pensé qu’il était consolant que les personnages fussent de si belles personnes. Ce n’est pas comme dans la vraie vie, ou dans les films de Bergman — le Maître de Faro est explicitement cité —, ici les gens sont bons. On peut leur faire du mal, les tromper, les quitter, mais c’est comme à regret, et eux-mêmes restent en toutes circonstances polis, élégants et compréhensifs. Il y a peut-être un côté chrétien chez Mouret, je ne sais pas, il faudrait creuser, Tuco. En tous cas, Blondin, on retrouve cette particularité dans Chronique d’une liaison passagère, dont les personnages mettent systématiquement en œuvre l’idée qu’on doit toujours chercher à devenir une meilleure personne. Ce qui fait que le spectateur a l’impression de s’élever moralement. Pas forcément très haut, mais c’est appréciable.
Dans le précédent, c’était Chopin, là c’est Mozart qu’on retient de la BO pianistique. Il n’est pas interdit d’avoir moins souvent envie d’écouter l’espèce de cristal parfait que sont les sonates pour piano d’Amadeus, que les feux d’artifice du divin Polonais. C’est qu’on croit connaître tout ça par cœur. Mais quand ce cristal se met à chanter à vos oreilles, au bout de quelques mesures plus rien d’autre n’existe. Et au bout de quelques mesures de plus, vous êtes renversé par l’inventivité de cette musique, qui pourtant s’inscrit dans une forme tout ce qu’il y a de contrainte. Toutes proportions gardées, c’est un peu pareil avec le film. Des marivaudages, vous en avez vu d’autres, et vous pensez que rien ne pourra vous surprendre, mais plus le récit avance, plus vous êtes étonné, et aussi ému. On n’est pas chez le Wedding Present, Mouret se paye le luxe d’un épilogue inattendu, après une succession d’inserts paysagers à la Ozu — le Maître de Fukagawa est explicitement cité —, inserts qui eussent pu conclure en beauté. Cet épilogue prend le risque de déplaire au spectateur qui grommelle, Je n’ai pas demandé de bis, cependant il happe une dernière fois son intérêt, en redistribuant encore les cartes tendres d’un jeu, toujours le même, et pourtant toujours nouveau pour qui y joue.