Le Fil : notre intime conviction

Le Fil de Daniel Auteuil s’inscrit dans la droite ligne de la vogue des films de procès que la France connaît depuis La Fille au bracelet de Stéphane Demoustier : Saint Omer, Mon crime, Toi non plus tu n’as rien vu, Anatomie d’une chute, Le Procès Goldman, etc. Par rapport à ce phénomène de la fin des années 2010 et du début des années 2020, cela semble néanmoins un peu la queue de la comète. Auparavant, Daniel Auteuil, le remarquable comédien que l’on connaît, a surtout tourné des adaptations des films de Marcel Pagnol. Présenté en séance spéciale au Festival de Cannes 2024, plutôt bien réalisé et interprété, Le Fil permet à Daniel Auteuil de signer son premier vrai film de metteur en scène, même s’il reprend en grande partie la plupart des codes du film de procès.

Depuis qu’il a fait innocenter un meurtrier récidiviste, Maître Jean Monier ne prend plus de dossiers criminels. La rencontre avec Nicolas Milik, père de famille accusé du meurtre de sa femme, le touche et fait vaciller ses certitudes. Convaincu de l’innocence de son client, il est prêt à tout pour lui faire gagner son procès aux assises, retrouvant ainsi le sens de sa vocation.

Le Fil interroge donc au plus profond la notion d’intime conviction qui, en l’absence de preuves matérielles manifestes, renvoie le spectateur du procès à sa propre conscience

Adaptant l’ouvrage de l’avocat pénaliste Jean-Yves Moyart, Le Livre de Maître Mô, Daniel Auteuil reprend donc la plupart des codes du film de procès : la musique néo-classique évoque irrésistiblement celle d’Albeniz au générique d’Anatomie d’une chute ; le procès se déroule dans un temps resserré, le film explorant les possibles vérités par des flash-backs en images courts et intenses ; en revanche, contrairement à Anatomie d’une chute qui prenait quelques libertés avec la représentation réaliste des procès, l’accusé est bien présenté à l’audience dans une cage de verre et l’avocat général ne virevolte pas comme Antoine Reinartz dans l’enceinte du tribunal mais reste sagement vissé à sa place, derrière son estrade. Par rapport à la représentation codifiée des procès, Daniel Auteuil ne se montre donc pas très original mais se signale néanmoins par quelques traits stylistiques assez marqués : une manière de s’approcher de très près des visages et de les filmer par petits bouts, de jouer avec la mise au point, ainsi qu’avec une photographie soignant les clairs-obscurs à la Rembrandt.

En ce qui concerne les thématiques, rien de très original non plus, excepté une véritable efficacité dans le montage et la progression de l’intrigue. Le film débouche sur un twist assez inattendu et plutôt imprévisible, même si sa révélation en deux temps peut paraître invraisemblable et mal amenée. La conclusion frappe alors soit comme un coup de poing qu’on n’avait guère vu venir, faisant pousser un cri d’horreur, soit comme une découverte sociétale qui aurait mérité un développement en soi. Il n’en demeure pas moins que, sans être un grand film, Le Fil tient assez solidement en haleine par son intrigue. On peut néanmoins regretter des scènes de corrida, soi-disant métaphoriques, qui apparaissent surtout superfétatoires. Le film échappe la plupart du temps au tropisme télévisuel qui le guette et capte par une atmosphère assez simenonienne qui semble sonder les âmes des personnages, attendant de voir jusqu’où ils pourront aller, la plupart du temps au bout d’eux-mêmes.

Le Fil interroge donc au plus profond la notion d’intime conviction qui, en l’absence de preuves matérielles manifestes, renvoie le spectateur du procès à sa propre conscience. Il repose essentiellement sur un scénario plutôt bien conçu et sur une interprétation qui, y compris dans les seconds (Sidse Babett Knudsen, toujours rayonnante) et même les plus petits rôles (Anna Mihalcea en jurée), fait mouche par sa crédibilité, en particulier le tandem Daniel Auteuil, plus minéral que jamais, et Grégory Gadebois, impénétrable par sa placidité.

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RÉALISATEUR : Daniel Auteuil 
NATIONALITÉ :  française 
GENRE : drame, thriller, policier 
AVEC : Daniel Auteuil, Grégory Gadebois, Sidse Babett Knudsen, Alice Belaïdi, Gaétan Roussel
DURÉE : 1h55
DISTRIBUTEUR : Zinc Films 
SORTIE LE 11 septembre 2024