Cela faisait neuf ans que Miranda July n’avait pas donné de ses nouvelles, depuis The Future (2011), histoire improbable d’un couple adoptant un chat. Depuis son coup d’éclat en 2005, Moi, toi et tous les autres, son premier film couronné à Cannes par la Caméra d’or et le Grand Prix de la Semaine de la Critique, Miranda July, considérée comme l’un des grands espoirs du cinéma indépendant américain, ne s’est pas pressée outre mesure : trois films en une petite quinzaine d’années. Durant tout ce temps, elle n’est pas restée pour autant inactive puisqu’elle mène de front des activités d’écrivaine, de plasticienne, de musicienne, etc. Kajillionaire, son troisième film donc en quinze ans, présenté en même temps en compétition à l’Etrange Festival et au Festival de Deauville, représente peut-être le film de sa maturité artistique, lui permettant de rassembler un large public, même si son originalité stylistique est tellement singulière qu’elle pourrait laisser des spectateurs sur le bord du chemin.
Kajillionaire, le troisième film donc en quinze ans de Miranda July, représente peut-être le film de sa maturité artistique, lui permettant de rassembler un large public, même si son originalité stylistique est encore plus impressionnante.
Dans Kajillionaire, Theresa et Robert ont élevé leur fille Old Dolio, âgée de 26 ans, à voler, mentir, arnaquer pour leur permettre de vivre en-dehors du système. Mais un jour, leurs combines s’effritent et ils doivent finir par payer leur loyer…
On pourrait penser à première vue que Kajillionaire décrit une vie en-dehors du système, en opposition à l’Amérique trumpiste. Mais Miranda July dépasse largement ce constat social un peu simpliste, en ne versant jamais dans le misérabilisme. Certes la famille Dyne vit dans une bulle, en multipliant les petites arnaques mais, en se protégeant plus ou moins des attaques extérieures, s’avère finalement assez heureuse, hormis la fille Old Dolio qui commence à ressentir le besoin d’exprimer et de ressentir des émotions.
Le nouveau film de Miranda July présente ainsi une bien étrange famille, où un couple utilise leur enfant unique pour vivre de rapines et de petites combines minables. Une famille si étrange où les parents semblent dépourvus de la plus petite empathie pour leur enfant, que l’on se demande parfois si le lien filial existe vraiment. En voyant le film de Miranda July, on pense parfois à un film sous-estimé de Claude Chabrol, Rien ne va plus, où les relations existant entre les personnages d’escrocs interprétés par Michel Serrault et Isabelle Huppert n’étaient pas exactement définis : père et fille, amant et maîtresse, amis, collègues, couple? Les parents d’Old Dolio l’instrumentalisent au point de l’avoir quasiment déconnectée de ses émotions. En cela, le casting d’Evan Rachel Wood, la Dolores androide de Westworld, s’avère pour le moins judicieux. Kajillionaire va surtout montrer comment Old Dolio va accéder à des émotions simples et naturelles, celles que la mentalité utilitariste de ses parents lui ont ôtées. L’arrivée dans leur gang de Mélanie va y contribuer en faisant naître des sentiments d’amitié, voire d’amour, mais le tournant du film est représenté par la rencontre avec un vieux mourant, rencontre qui va accélérer la prise de conscience d’Old Dolio. Elle ne cessera ensuite de se demander comment se définit la normalité, tout comme Miranda July se le demande sans doute par rapport à son style face au cinéma américain.
D’une certaine manière, Miranda July nous offre une sorte de conte moral sur la normalité et la marginalité, mâtiné de notations surréalistes, par exemple ces murs exsudant de la mousse rose qui constituent l’environnement quotidien de la famille Dyne, ou cette chorégraphie étrange de contorsions, que les membres de la famille adoptent pour éviter les caméras de surveillance ou leur propriétaire, ce qui fait de Kajillionaire un film sur l’Amérique d’aujourd’hui, où des gens ne cessent de contourner les choses pour pouvoir continuer de survivre.