Le temps s’accommode des contraires : il abîme et répare. Une marche implacable, parfaitement égalitaire. Comme mis en avant dans le dernier film de David Cronenberg, Les Crimes du Futur, le corps est la réalité : il change et modifie notre perception du monde. Dans Incroyable mais vrai, la dernière douce folie du prolifique Quentin Dupieux, la vieillesse est un naufrage existentiel. Heureusement, à l’ère de l’artificiel et de l’information, des remèdes existent pour prolonger l’expérience de la jeunesse : faut-il toutefois décorréler la chronologie du corps et de l’esprit ? Une fuite en avant où s’engouffre mollement l’Oizo, dans une forme relative.
L’agent immobilier insiste, le clou du spectacle, c’est la cave. Une fois en bas, Alain (Chabat) et Marie (Léa Drucker), un couple à la recherche d’une nouvelle maison, ne sont que partiellement sous le charme : ils ne sont pas très sous sols. Au milieu de la pièce se trouve une trappe qui, selon l’agent immobilier, peut tout changer. Il l’ouvre, mais c’est toujours la banalité qui guette : derrière la planche de bois se cache un simple conduit, sombre et exigu. Le couple accepte de descendre. Une fois en bas, ils atterrissent en haut de la maison, quelques heures plus tard. Alain et Marie décident d’acheter la maison, pour le meilleur comme pour le pire. La règle est simple avec ce conduit : « qui perd gagne ».
La conclusion d’Incroyable mais vrai apparaît comme révélatrice des limites de la comédie : n’ayant plus rien à raconter, le film éjecte ses dernières images dans une longue et frustrante séquence musicale.
Si Réalité jouait déjà du temps et de la perte de raison face à un fil temporel de plus en plus hasardeux, la comparaison avec Incroyable mais vrai s’arrête à la thématique. Une sorte de pendant raisonnable et pragmatique, loin des hallucinations oniriques de son cinquième film. Si les premiers instants laissent penser à un montage malicieux, juxtaposant les heures pour mieux embrouiller le spectateur, l’expérience ne dure pas : dès le pot aux roses découvert, le récit ne semble plus être à la hauteur du concept, pourtant aussi malin que parfaitement Dupieusien. Par choix ou par manque d’inspiration, le cinéaste fait progresser son film vers de nouveaux rivages, délaissant le plaisir de l’absurde pour l’absurde, pour se rapprocher d’un cinéma plus littéral. Sans atteindre la précision du duo Delépine et Kervern, on est néanmoins surpris de retrouver cet air de fable entre dérision et gravité, à la morale naïve à rapprocher de celle de I Feel Good.
Comme ce conduit qui mène inlassablement du bas vers le haut, du présent vers le futur, Incroyable mais vrai tourne légèrement en rond ou à vide. Que cela soit la soif de jeunesse de Marie ou le désir de virilité de Gérard, l’ami quelque peu macho d’Alain, les récits individuels ne progressent que timidement, préférant surfer sur une corde comique légèrement grivoise. A ce jeu, il faut reconnaître l’excellence du casting quatre étoiles, à commencer par Benoît Magimel, très à l’aise en patron obsédé par son sexe électronique. Malgré une introduction réussie et quelques blagues bien senties, le récit baigne dans une banalité qui contraste avec les promesses surréalistes du conduit temporel. La conclusion d’Incroyable mais vrai apparaît comme révélatrice des limites de la comédie : n’ayant plus rien à raconter, le film éjecte ses dernières images dans une longue et frustrante séquence musicale. Une manière de rappeler ce temps perdu par Marie, trop préoccupée par sa cure de jouvence, ou véritable aveu de faiblesse scénaristique ? Dans tous les cas, il semble clair que ce ne sont pas des fourmis que le génial cinéaste a dans la main, mais un poil. Le futur n’en reste pas moins joyeux : Fumer fait tousser (lire notre critique), le prochain film de Quentin Dupieux, est une belle réussite.
RÉALISATEUR : Quentin Dupieux NATIONALITÉ : France AVEC : Alain Chabat, Léa Drucker, Benoît Magimel GENRE : Comédie DURÉE : 1h14 DISTRIBUTEUR : Diaphana Distribution SORTIE LE 15 juin 2022