Samedi 17 mai, montée des marches à Cannes pour la première de Die, my love. Pour 2025, les tenues vestimentaires sur le tapis rouge étaient pour la première fois réglementées : exit la nudité, tout comme les mises trop volumineuses (qui ralentissaient le cortège). Mais étonnamment, aucune contre-indication concernant les costumes d’animaux un peu encombrants… et ça tombe bien, puisque c’est un condor des Andes, à taille humaine, qui a braqué tous les flashs photographiques sur lui ce soir-là. Les instigateurs de ce défilé emplumé : l’acteur et réalisateur Raphaël Quenard, accompagné de l’équipe de son film, I Love Peru, présenté dans la section Cannes Classics. Un joli buzz qui a fait le tour de la toile, créant une véritable attente pour le premier long-métrage de l’acteur et de son binôme Hugo David. Attente méritée puisque cette oeuvre volante non identifiée nous fait décoller sans effort, avec son format mockumentaire poussé à l’extrême, où se mêlent humour loufoque, satire de la célébrité et… poésie amoureuse.
Hugo (David) filme le farfelu comédien Raphaël (Quenard) depuis ses tout débuts. Lancé dans sa course effrénée vers le succès, désormais césarisé, ce dernier finit par s’éloigner de celles et ceux qu’il aime le plus. Seul face à lui-même, il est alors envahi par un rêve récurrent : il est un condor. Pour comprendre ce présage, il embarque alors Hugo avec lui, direction le Pérou pour une aventure spirituelle qui le changera à jamais.
Raphaël Quenard est cet homme un peu fêlé qui laisse passer la lumière : évoquant la grâce et la magie de chaque instant de la vie
Avec I Love Peru, tout commence par un format. Celui du mockumentaire, mot-valise associant la parodie et le documentaire. Les premières secondes nous y plongent sans concession : un fond noir et des bruits de mastication, au milieu desquels la voix légèrement vaseuse de Raphaël Quenard exprime son plaisir de manger un des meilleurs burgers de sa vie. La caméra qui capture ce moment d’intimité nocturne, c’est celle d’Hugo, son comparse et la voix off du “documentaire” qui suit et filme l’acteur (et sa folie douce) dans ses moindres détails depuis plusieurs années. L’image zoome et dézoome sans cesse, le montage est sautillant, comme coupé à la hache, mimant parfaitement (et même exagérant) les codes d’un film tourné à l’épaule.
Dès lors, les réalisateurs s’amusent. Jouant du vrai et du faux, entremêlant la véritable histoire de Raphaël Quenard (de ses éternels seconds rôles à son ascension fulgurante et son César remporté en 2024, comme meilleure révélation masculine pour Chien de la casse) entre confessions et situations improbables, alcools, rumeurs, blagues osées voire totalement dérangeantes, toujours sur une crête qui pourrait faire basculer le film dans une parodie gênante. Mais qui ne bascule jamais… pour peu que l’on soit adepte du millième degré ou du genre “Dupieux-sien”. (Comme lorsque l’acteur revient sur sa victoire aux César et jubile : « Il paraît que c’est historique… historique, comme Nagasaki ou Hiroshima ! ») On suit ainsi le vrai/faux Raphaël Quenard dans ses premiers déboires, harcelant les plus grands acteurs et actrices français sur les tournages. À Eric Judor, il lui propose de faire « Eric et Raphi » ; à Marina Foïs de l’incarner dans son propre biopic car elle « a la même coupe de cheveux que lui ». Puis, la réussite fait basculer sa vie. Hugo commente : « c’est les fameux trois L du cinéma : d’abord tu te fais lécher, puis lyncher, et enfin lâcher… Là, il en était au moment où il se faisait lécher. »
Derrière cette caméra, ces dialogues et cette construction un brin foutoir, c’est la voix off d’Hugo David qui permet à I LOVE PERU de prendre un sens poétique qu’on n’attendait pas. C’est son regard de velours, sur cet ami atteint de radinisme chronique (la seule fois où il a payé un bol de frites était un soir de 2021, le soir où il a rencontré “la femme de sa vie”, incarnée par Anaïde Rozam), parcouru de pensées aussi brillantes que complètement stupides, et qui finit par se retrouver seul à force d’avoir pris la grosse tête. C’est cet homme un peu fêlé qui laisse passer la lumière : évoquant la grâce et la magie de chaque instant de la vie (raison pour laquelle Hugo se doit de le filmer constamment, selon lui), part à l’autre bout du monde pour comprendre la signification de ce rêve de condor (et savoir si la femme de sa vie reviendra…), livrant de sublimes tirades sur la souffrance amoureuse, cet « esprit » qui tourne autour de lui et ne le lâche pas.
Alors, qu’en est-il de cette histoire de condor ? Raphaël Quenard, attifé de tee-shirts “I LOVE PERU”, “I LOVE MACHU PICCHU” ou encore “I LOVE CONDORS” finira par le découvrir grâce à un chamane à Lima. Et, autant qu’il aurait été dommage d’outer la curieuse apparition du volatile sur le tapis rouge, impossible d’en livrer davantage. Seuls indices : il sera question d’ornithologue, et de l’importance, parfois, de perdre du temps pour en gagner.
RÉALISATEURS : Raphaël Quenard, Hugo David NATIONALITÉ : Française GENRE : Comédie AVEC : Raphaël Quenard, Hugo David, Anaïde Rozam, José Garcia, Jean-Pascal Zadi DURÉE : 1h 09 DISTRIBUTEUR : Le Pacte SORTIE LE 9 juillet 2025