César 2023 : retour à l’innocence ou plongée dans la nuit?

Souvenons des titres des derniers lauréats des César pendant que l’audience de la cérémonie a connu une inexorable chute lors de ces dernières années : Les Misérables, Adieu les cons, Illusions perdues. Autant dire que ces titres mis à la suite n’incitaient pas à un optimisme délirant. Alors que la fréquentation des cinémas affiche une timide reprise, dopée par la sortie d’un film d’un certain James Cameron, même si certains publics n’ont toujours pas repris le chemin des salles, quelle température nous donnera les résultats de cette énième cérémonie des César? Face-à-face, s’affronteront surtout L’Innocent, une jolie comédie bon enfant signée par Louis Garrel qu’on n’attendait guère à pareille fête, après les sorties confidentielles de ses précédents films, et La Nuit du 12, thriller grave sur les féminicides, le meilleur film de Dominik Moll depuis Harry, un ami qui vous veut du bien. Pour les départager, Albert Serra propose Pacifiction, sacré d’ores et déjà film français de l’année par le Syndicat français de la critique de cinéma et l’ensemble de la presse en général, et l’un des deux films préférés de la rédaction de MovieRama, mais on doute quelque peu de la radicalité expérimentale du goût des membres de l’Académie des César qui sacre de manière générale une oeuvre plutôt grand public, accessible et sans extremisme stylistique spécifique. Avantage donc à La Nuit du 12 qui table sur une approche sociétale qui se révélera sans doute payante, un sujet qui peut concerner tous les spectateurs, les féminicides, ainsi qu’une écriture remarquable et une interprétation sans faille.

Depuis l’affrontement à distance entre Roman Polanski et Adèle Haenel, dont aucun n’est réellement sorti indemne, quelque chose s’est fracturé dans la relation du public avec cette cérémonie. Certes, on se doutait que la grande famille du cinéma n’était qu’une belle illusion (perdue?), que les perdants se sentent toujours privés de réconfort et misérables, tandis que les gagnants partent en riant, en clamant à la cantonade « adieu les cons ». Mais cet affrontement qui dépassait les affiliations droite-gauche a symbolisé un clivage bien plus profond entre deux visions irréconciliables de l’existence, ce qui a suscité plus que du malaise chez les téléspectateurs impuissants et navrés devant cette querelle de famille.

Alors que les femmes se trouvent au coeur du film-phare de cette édition, on s’étonnera de leur faible représentation dans les nominations, en particulier dans la catégorie réalisation. Dans une année pourtant riche en belles réalisations signées par des femmes, beaucoup sont oubliées ou reléguées à des nominations subsidiaires : Alice Diop, Alice Winocour, Rebecca Zlotowski, Mia Hansen-Love, Claire Denis, Patricia Mazuy, etc. Seule Valéria Bruni-Tedeschi parvient à sortir son épingle du jeu avec Les Amandiers mais, hasard ou coincidence, cette oeuvre est malheureusement plombée par des accusations d’agressions sexuelles visant un de ses acteurs principaux.

On aimerait bien que Vincent Macaigne l’emporte pour la première fois dans la catégorie du meilleur acteur, mais Benoît Magimel semble prendre à nouveau toute la place et prêt à recevoir son deuxième César du meilleur acteur d’affilée, après celui décerné pour De son vivant. Pour les autres catégories, Virginie Efira paraît enfin en mesure de l’emporter, sa seule rivale sérieuse Adèle Exarchopoulos étant encore un peu jeune pour lui disputer sérieusement cette récompense. Les catégories des seconds rôles sont en fait les plus riches en suspense : probablement Bouli Lanners ou Roschdy Zem pour le second rôle masculin, et la bataille fera rage entre Anouk Grinberg et Noémie Merlant pour leurs prestations ébouriffantes dans L’Innocent, avec un léger avantage, privilège de l’âge, à Anouk. Enfin espérons un petit succès de Bruno Reidal de Vincent Le Port, pour le meilleur premier film, accompagné de celui de Dimitri Doré en meilleur espoir, si Bastien Bouillon ne lui fait pas de l’ombre avec son rôle principal qui le révèle au premier plan, après des années de vaches maigres, dans La Nuit du 12. Pour finir, signalons que le futur du cinéma français se jouera un peu dans la catégorie du meilleur espoir féminin où Nadia Tereszkiewicz se retrouvera en concurrence directe avec Rebecca Marder, sa collègue dans Mon Crime de François Ozon. La révélation du César du meilleur espoir féminin fait souvent partie des images les plus émouvantes de cette cérémonie du cinéma. Espérons qu’il en sera de nouveau ainsi ce soir.

La liste des nommés aux César 2023

César du meilleur film :

Les Amandiers de Valeria Bruni-Tedeschi
En Corps de Cédric Klapisch
L’Innocent de Louis Garrel
La Nuit du 12 de Dominik Moll
Pacifiction – Tourment sur les îles d’Albert Serra

César de la meilleure réalisation :

Cédric Klapisch pour En Corps
Louis Garrel pour L’Innocent
Cédric Jimenez pour Novembre
Dominik Moll pour La Nuit du 12
Albert Serra pour Pacifiction

César du meilleur acteur :

Jean Dujardin dans Novembre
Louis Garrel dans L’Innocent
Vincent Macaigne dans Chronique d’une liaison passagère
Benoît Magimel dans Pacifiction – Tourment sur les îles
Denis Ménochet dans Peter von Kant

César de la meilleure actrice :

Fanny Ardant dans Les Jeunes Amants
Juliette Binoche dans Ouistreham
Laure Calamy dans À plein temps
Virginie Efira dans Revoir Paris
Adèle Exarchopoulos dans Rien à foutre

César du meilleur acteur dans un second rôle :

François Civil dans En Corps
Bouli Lanners dans La Nuit du 12
Micha Lescot dans Les Amandiers
Pio Marmaï dans En Corps
Roschdy Zem dans L’Innocent

César de la meilleure actrice dans un second rôle :

Judith Chemla dans Le Sixième Enfant
Anaïs Demoustier dans Novembre
Anouk Grinberg dans L’Innocent
Lyna Khoudri dans Novembre
Noémie Merlant dans L’Innocent

César du meilleur espoir masculin :

Bastien Bouillon dans La Nuit du 12
Stefan Crepon dans Peter Von Kant
Dimitri Doré dans Bruno Reidal, Confession d’un meurtrier
Paul Kircher dans Le Lycéen
Aliocha Reinert dans Petite Nature

César du meilleur espoir féminin :

Marion Barbeau dans En Corps
Guslagie Malanda dans Saint Omer
Rebecca Marder dans Une Jeune fille qui va bien
Nadia Tereszkiewicz dans Les Amandiers
Mallory Wanecque dans Les Pires

César du meilleur scénario original :

Éric Gravel pour À plein temps
Valeria Bruni-Tedeschi, Noémie Lvovsky et Agnès de Sacy pour Les Amandiers
Cédric Klapisch et Santiago Amigorena pour En Corps
Louis Garrel, Tanguy Viel et Naïla Guiguet pour L’Innocent
Alice Diop, Amrita David, Marie Ndiaye pour Saint Omer

César de la meilleure adaptation :

Michel Hazanavicius pour Coupez !
Thierry de Peretti et Jeanne Aptekman pour Enquête sur un scandale d’État
Gilles Marchand et Dominik Moll pour La Nuit du 12

César des meilleurs costumes : 

Caroline de Vivaise pour Les Amandiers
Pierre-Jean Larroque pour Couleurs de l’incendie
Emmanuelle Youchnovski pour En attendant Bojangles
Corinne Bruand pour L’Innocent
Praxèdes de Vilallonga pour Pacifiction
Gigi Lepage pour Simone – Le voyage du siècle

César de la meilleure photographie :

Julien Poupard pour Les Amandiers
Alexis Kavyrchine pour En Corps
Patrick Ghiringhelli pour La Nuit du 12
Artur Tort pour Pacifiction
Claire Mathon pour Saint Omer

César des meilleurs décors :

Emmanuelle Duplay pour Les Amandiers
Sébastien Birchler pour Couleurs de l’incendie
Michel Barthélémy pour La Nuit du 12
Sébastien Vogler pour Pacifiction
Christian Marti pour Simone – Le voyage du siècle

César du meilleur montage :

Mathilde Van de Moortel pour À plein temps
Anne-Sophie Bion pour En Corps
Pierre Deschamps pour L’Innocent
Laure Gardette pour Novembre
Laurent Rouan pour La Nuit du 12

César du meilleur son :

Cyril Moisson, Nicolas Moreau et Cyril Holtz pour En Corps
Laurent Benaïm, Alexis Meynet et Olivier Guillaume pour L’Innocent
Cédric Deloche, Alexis Place, Gwennolé Le Borgne et Marc Doisne pour Novembre
François Maurel, Olivier Mortier et Luc Thomas pour La Nuit du 12
Jordi Ribas, Benjamin Laurent et Bruno Tarrière pour Pacifiction

César des meilleurs effets visuels :

Guillaume Marien pour Les Cinq Diables
Sébastien Rame pour Fumer fait tousser
Laurens Ehrmann pour Notre-Dame Brûle
Mikaël Tanguy pour Novembre
Marco Del Bianco pour Pacifiction

César de la meilleure musique originale :

Irène Drésel pour À plein temps
Alexandre Desplat pour Coupez !
Grégoire Hetzel pour L’Innocent
Olivier Marguerit pour La Nuit du 12
Marc Verdaguer et Joe Robinson pour Pacifiction
Anton Sanko pour Les Passagers de la Nuit

César du meilleur premier film :

Bruno Reidal, Confession d’un meurtrier de Vincent Le Port
Falcon Lake de Charlotte Le Bon
Les Pires de Lise Akoka et Romane Gueret
Saint Omer d’Alice Diop
Le Sixième Enfant de Léopold Legrand

César du meilleur film d’animation : 

Ernest et Célestine : le Voyage en Charabia de Jean-Christophe Roger et Julien Chheng
Ma Famille Afghane de Michaela Pavlatova
Le Petit Nicolas – Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ? d’Amandine Fredon et Benjamin Massoubre

César du meilleur film étranger :

As Bestas de Rodrigo Sorogoyen
Close de Lukas Dhont
La Conspiration du Caire de Tarik Saleh
EO de Jerzy Skolimowski
Sans Filtre de Ruben Östlund

César du meilleur documentaire :

Allons enfants de Thierry Demaizière et Alban Teurlai
Les Années Super 8 d’Annie Ernaux et Davie Ernaux-Briot
Le Chêne de Laurent Charbonnier et Michel Seydoux
Jane par Charlotte de Charlotte Gainsbourg
Retour à Reims (Fragments) de Jean-Gabriel Périot

César du meilleur court-métrage de fiction :

Haut les cœurs d’Adrian Moyse Dullin
Partir un jour d’Amélie Bonnin
Le Roi David de Lila Pinell
Les Vertueuses de Stéphanie Halfon

César du meilleur court-métrage documentaire :

Churchill, Polar Bear Town d’Anabelle Amoros
Écoutez le battement de nos images d’Audrey Jean-Baptiste et Maxime Jean-Baptiste
Marie Schneider, 1983 d’Élisabeth Subrin

César du meilleur court-métrage d’animation :

Câline de Margot Reumont
Noir-Soleil de Marie Larrivé
La Vie Sexuelle de Mamie de Urska Djukic et Emilie Pigeard