La Nuit du 12 : chat noir dans la pénombre

Il passe, l’air innocent. Un chat noir comme un autre, porteur d’un imaginaire qui le dépasse. Dans le dernier film du cinéaste Dominik Moll, la figure de l’animal n’est jamais loin, gravitant autour d’une sordide affaire de féminicide. Au malheur de la perte s’ajoute l’absence de coupable, ne laissant qu’une seule certitude à la PJ en charge de l’enquête : le crime s’est produit La nuit du 12. Parmi les 800 enquêtes ouvertes chaque année en France, près de 20% d’entre elles ne sont jamais résolues. Un seul cas peut faire la différence dans une carrière : il reste gravé dans la mémoire et se transforme en une interrogation permanente, douloureuse et lancinante. Le mystère s’épaissit toujours plus.. Un polar envoûtant et mélancolique, porté par un solide casting.

Au cœur d’une tranquille nuit dans la vallée de Maurienne, près de Grenoble, un cri perturbe un quartier endormi. Tôt le lendemain matin, la police judiciaire et scientifique encercle un petit parc : au sol, un corps noirci. Clara, une jeune femme, a été brulée vive. Yohan (Bastien Bouillon), avec l’aide de son équipe, doit rapidement trouver des éléments pour coincer le meurtrier. Plus le temps passe, plus l’espoir de résoudre le crime s’éloigne. Les interrogations se succèdent, la liste des suspects s’allonge. Dans un vélodrome, Yohan tourne en rond sur son vélo, il pédale vite, mais s’enlise en réalité : les pistes refroidissent les unes après les autres. Est-ce son tour d’être hanté par un crime irrésolu ?

Un polar étrangement lumineux, singulier, politique à certains égards, sur ce qui « cloche entre les hommes et les femmes »

Adapté du livre « 18.3 – une année à la PJ » de Pauline Guéna, La Nuit du 12 dresse le portrait d’une brigade policière face à une affaire aussi sensible que mystérieuse. Quelque chose semble dépasser les enquêteurs. Marceau (Bouli Lanners), collègue et ami de Yohan, souffre de ce qu’il entend, son humanité s’heurte contre la brutalité des hommes. A fleur de peau, incapable de contenir son vécu, il perd son sang-froid. Un drôle de romantique perdu dans une montagne qu’il ne reconnaît plus. Face à lui, une autre forme de souffrance, celle de Yohan, un homme de peu de mots, à la fois grave et doux, proche des personnages incarnés par Laurent Lucas dans la filmographie de Dominik Moll. Il observe, analyse, capte les émotions de ce monde en mouvement, son esprit subit la pesanteur d’une affaire loin de toute évidence. Un nœud se défait lors d’un échange avec la meilleure amie de Clara : et si son jugement était biaisé ? Les hommes mettent le feu aux femmes et tentent ensuite d’élucider les agressions. En tentant coûte que coûte de retracer le fil des amants de la jeune défunte, qu’espéraient-ils trouver ou prouver ? Son amie ne la reconnaît pas dans les mots des enquêteurs, elle qui était pourtant plus proche que quiconque de Clara. Cet échange, fort et touchant, atteint le regard de l’enquêteur et chemine dans son esprit.

« On fait un boulot bizarre » dit Marceau lors d’une scène, lui qui ne manque pas de bons mots pour parler de son métier. Ils « combattent le mal en faisant des rapports avec une photocopieuse qui ne marche pas ». Après avoir rongé et consumé de l’intérieur les deux hommes, l’enquête est rangée dans un placard, non résolue. Quelques années plus tard, au sein d’une brigade plus féminine, l’anniversaire de la mort de Clara est l’occasion de tenter un dernier coup. Si la conclusion est connue d’avance, Yohan a toutefois muri, il croît à nouveau. Toujours sur son vélo, il n’affronte plus un circuit ovale, mais des cols : le hamster est sorti de sa roue. Un récit filmé avec une grande délicatesse, sans pathos ni voyeurisme, au plus proche de ses personnages, enquêteurs, proches comme suspects. Les plans inscrivent les corps dans l’espace, notamment cet environnement montagnard, contribuant à l’aspect mystérieux et captivant du film. Une ambiance mélancolique, teintée d’optimisme, sublimée par les mélodies d’Olivier Marguerit. Un polar étrangement lumineux, singulier, politique à certains égards, sur ce qui « cloche entre les hommes et les femmes ».

4.5

RÉALISATEUR : Dominik Moll
NATIONALITÉ : France, Belgique
AVEC : Bastien Bouillon, Bouli Lanners, Johann Dionnet
GENRE : Thriller
DURÉE : 1h54
DISTRIBUTEUR : Haut et Court
SORTIE LE 13 juillet 2022