Billie Holiday revient soudain sous les feux de l’actualité. Ce phénomène est peut-être dû au mouvement Black Lives Matter qui a connu une renommée internationale suite à l’affaire George Floyd. Néanmoins en raison de la durée nécessaire pour lancer un projet et le réaliser, il est plus probable que cela relève d’une pure coïncidence dans l’air du temps. Deux films à quelques mois d’intervalle traitent ainsi de l’une des icônes absolues du jazz. Le premier, Billie, documentaire de James Erskine, sorti en septembre 2020, collectait les témoignages et présentait des interviews exclusives et inédites sur Lady Day. Le second se présente cette semaine comme un biopic réalisé par Lee Daniels (Precious, The Paper Boy). Billie Holiday, une affaire d’Etat est en effet, hormis un détail relativement important, un biopic classique qui fleure bon l’académisme. Qu’est-il préférable de voir, si l’on s’intéresse plus ou moins à Billie Holiday, la chanteuse qui a influencé une myriade d’héritières par sa diction traînante et souvent douloureuse?
Sans doute vaudrait-il mieux se pencher sur Billie le documentaire de James Erskine pour retrouver la voix et surtout l’âme de celle qui fut l’une des icônes les plus troublantes et chavirantes de la musique jazz.
En 1939, Billie Holiday est déjà une vedette du jazz new-yorkais quand elle entonne « Strange Fruit », un vibrant réquisitoire contre le racisme qui se démarque de son répertoire habituel. La chanson déchaîne aussitôt la controverse, et le gouvernement lui intime de cesser de la chanter. Billie refuse. Elle devient dès lors une cible à abattre.
Billie Holiday a tout fait pour atténuer ses souffrances et oublier son enfance difficile, ses choix malheureux en matière d’hommes, et la difficulté de vivre en étant une femme de couleur en Amérique. La drogue fut l’une de ses échappatoires. Le gouvernement va retourner cette faiblesse contre elle et utiliser sa dépendance aux stupéfiants pour la faire tomber. Prêt à tout, Harry Anslinger, le chef du Bureau Fédéral des Narcotiques, charge Jimmy Fletcher, un agent de couleur, d’infiltrer les cercles dans lesquels évolue la chanteuse. Mais leur plan va rencontrer un obstacle majeur : Jimmy tombe amoureux de Billie…
Contrairement aux biopics d’antan qui prenaient la vie de la personnalité à traiter de la naissance à la mort, style Ray ou Bohemian Rhapsody, Billie Holiday, Une Affaire d’Etat se focalise sur une période bien précise d’un artiste, tout comme Judy ou Rocketman, période névralgique censée révéler l’essentiel de sa vie. Ce parti pris plus moderne qui évite les passages malencontreux de l’enfance à la vieillesse, ne rend pas forcément les biopics moins académiques. On assiste donc dans Billie Holiday à une belle reconstitution des années quarante, à l’époque où Billie a fait scandale en chantant Strange Fruit, se mettant à dos l’Etat et en particulier la frange conservatrice de l’opinion. Le film trouve donc un écho inattendu dans l’actualité, Strange fruit, évoquant la pendaison de noirs, étant entonné lors des manifestations Black lives matter. Comme dans les films antérieurs de Lee Daniels, le style se révèle être relativement pachydermique. Il n’y manque pas un bouton de guêtre mais en revanche, on peut s’interroger sur l’âme de la divine chanteuse qui, convenablement incarnée par Andra Day (elle était souvent évoquée pour l’Oscar de la meilleure actrice, avant que Frances McDormand ne s’impose définitivement dans la plupart des cérémonies), ne pointe pas véritablement dans ce biopic efficace, informatif mais peu mémorable. Garrett Hedlund dans le rôle de l’antagoniste ainsi que Trevante Rhodes dans celui de la taupe, ne sortent pas du registre du convenu. Billie Holiday représente une telle figure mythique et tragique, en proie à la drogue, l’alcool, aux relations amoureuses toxiques (eh oui, Billie Holiday a très largement préfiguré le destin d’une certaine Amy Winehouse qui l’adulait), qu’il s’avère assez téméraire de vouloir la raconter dans un film.
Il fallait peut-être s’y attendre, Lee Daniels n’étant pas un foudre de guerre, même s’il est particulièrement concerné par Black lives matter. Sans doute vaudrait-il mieux se pencher sur Billie le documentaire de James Erskine pour retrouver la voix et surtout l’âme de celle qui fut l’une des icônes les plus troublantes et chavirantes de la musique jazz.
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