Back to Black : splendeurs et misères du biopic

Quatorze ans après la disparition d’Amy Winehouse, la grande chanteuse pop, jazz et soul, et presque dix ans après le documentaire Amy d’Asif Kapadia, voici déjà le biopic consacré à l’interprète légendaire de Back to Black. Comme nombre de biopics, il ne s’agit plus de retracer (souvent fastidieusement) toute la vie de la star choisie, mais de prélever un moment particulièrement significatif de l’existence de celle-ci. Dans la brève vie d’Amy, ce moment ne pouvait être que la conception et la création de Back to Black, l’album qui l’a emmenée sur les cimes de la célébrité. On pouvait craindre le pire de ce biopic réalisé par Sam Taylor-Johnson, autrice du navet bien connu, 50 nuances de Grey : le résultat est au contraire plutôt réussi, porté par une performance hallucinante de Marisa Abela dans le rôle d’Amy, en dépit de certains petits arrangements avec la réalité.

Au milieu des années 2000, Amy Winehouse est une jeune chanteuse britannique, prometteuse, révélée par son premier album Frank, avec une sonorité jazz-soul, et une franchise inaccoutumée dans ses textes crus et virulents. Habitant le quartier de Camden, elle traîne en cherchant l’inspiration pour son deuxième album, jusqu’à ce qu’elle rencontre un certain Blake Fielder-Civil…

L’on se souvient surtout d’être entré en connexion une nouvelle fois avec l’âme d’Amy Winehouse, grâce à la performance de Marisa Abela. Cette connexion avec une jeune femme qui voulait qu’on se souvienne d’elle telle qu’elle était, est précieuse.

On craignait le pire de ce biopic. Honnêtement, Back to black surprend agréablement, surtout dans sa première partie car Sam Taylor-Johnson a pris le parti de narrer la vie d’Amy Winehouse au quotidien, jour après jour, celui d’une jeune femme rigolote, à forte personnalité, une fille rétro égarée dans le monde d’aujourd’hui. Parmi les films de Sam Taylor-Johnson, on se souvenait du calamiteux 50 nuances de Grey où elle s’était laissée séduire par les sirènes trompeuses d’Hollywood ; Back to black évoque bien plutôt Nowhere Boy, son biopic sur la jeunesse de John Lennon, plongée dans le réalisme social britannique, dans la lignée d’un Ken Loach ou surtout d’un Mike Leigh. Ce n’est sans doute pas un hasard si elle a fait appel à deux des interprètes fétiches de Mike Leigh, Eddie Marsan et Lesley Manville, tous deux excellents dans les rôles respectifs du père et de la grand-mère d’Amy. Si l’on ajoute le remarquable Jack O’Connell (L’Amant de Lady Chatterley), c’est la fine fleur du cinéma anglais qui se trouve réunie pour ce biopic.

Mais, sur ces comédiens exceptionnels, c’est la presque inconnue Marisa Abela (remarquée dans la série Industry) qui prend magistralement le dessus. De tous les plans ou presque, petite et gouailleuse, elle incarne comme rarement des comédiens l’ont fait une légende de la chanson, en lui empruntant sa silhouette, sa coiffure, et même sa voix, ce que peu ont fait (par exemple, ce n’est pas le cas de Rami Malek dans Bohemian Rhapsody ou Taron Egerton dans RocketMan), hormis un certain Joaquin Phoenix dans Walk the line. En évitant le piège du mimétisme, en prenant quatre mois de cours de chant, Marisa Abela a réussi l’impossible : interpréter elle-même les chansons d’Amy Winehouse, sans être le moins du monde ridicule, même si sa tonalité est légèrement plus aigue. Ceci explique qu’elle soit parvenue à maintenir une illusion de fluidité, sa voix chantée se trouvant dans la continuité de sa voix parlée.

On assiste donc à un véritable prodige, non une interprétation mais une totale incarnation du personnage, sur tous les plans, visuel, sonore et existentiel. Cette magie fonctionne globalement de manière extraordinaire jusqu’à la première rupture avec Blake Fiedler-Civil, où la narration à la Mike Leigh donne du poids et de la crédibilité à l’ensemble. A partir de cette rupture, Sam Taylor-Johnson sombre dans le vidéo-clip, colle un peu trop aux images déjà vues et revues, et surtout accélère sa mise en scène et zappe les dernières années de la déchéance d’Amy. Cela ne va pas non plus sans quelques petits arrangements avec la réalité : le père d’Amy n’apparaît pas ici, comme manipulateur et avide de célébrité, tels que certains ont pu le décrire ; Blake, l’amour d’Amy, n’est pas dépeint comme celui qui a détruit progressivement le talent et l’identité de l’une des chanteuses les plus douées de notre époque. Ce biopic jette également un voile assez pudique sur la descente dans la drogue dure d’Amy, orchestrée par son amoureux et mari. Ceux qui auraient également voulu un biopic sur l’écriture et la création de Back to black resteront également sur leur faim, même si la mise en situation de certaines chansons, juste après les faits qui leur ont donné naissance, jette un éclairage inestimable sur les paroles d’Amy Winehouse (elle était autrice de toutes les paroles de ses chansons), qu’on n’écoutera plus jamais de la même façon. Pour la vérité historique, il faudra sans doute revoir le documentaire oscarisé Amy, que tous ses fans ont déjà chez eux, ou bien attendre que les principaux protagonistes (Blake, Mitch) aient disparu, afin de donner une version exacte de ce qui a pu pousser Amy dans le gouffre de ses addictions.

Pourtant, lorsqu’on quitte la salle, accompagnée par la complainte élégiaque de Nick Cave et Warren Ellis (qui avaient déjà accompli la même démarche pour Marilyn Monroe dans Blonde), l’on se souvient surtout d’être entré en connexion une nouvelle fois avec l’âme d’Amy Winehouse, grâce à la performance de Marisa Abela. Cette connexion avec une jeune femme qui voulait qu’on se souvienne d’elle telle qu’elle était, est précieuse.

3.5

RÉALISATRICE :  Sam Taylor-Johnson 
NATIONALITÉ :  britannique 
GENRE : biopic, romance, musical, drame 
AVEC : Marisa Abela, Jack O'Connell, Eddie Marsan, Lesley Manville 
DURÉE : 2h02 
DISTRIBUTEUR : StudioCanal 
SORTIE LE 24 avril 2024