L’Amant de Lady Chatterley : la nature épanouie

Dans l’histoire de la littérature, L’Amant de Lady Chatterley de D.H. Lawrence représente le modèle du roman érotique, déclenchant le scandale, les accusations de pornographie et les affres de la censure. Publié à compte d’auteur en 1928, il est également le testament littéraire de son auteur, décédé en 1930, l’un des plus grands écrivains et romanciers de la littérature britannique. Décrivant dans le détail les amours interdites d’une dame de l’aristocratie anglaise, Lady Chatterley, et de son garde-chasse, Oliver Mellors, le livre a souvent choqué mais également suscité de nombreuses adaptations cinématographiques et/ou télévisuelles, plus ou moins réussies, nous y reviendrons. Lorsqu’une nouvelle adaptation a été prévue sur Netflix, le projet engendrait quelque peu la suspicion sur sa nécessité. Or, très bonne surprise, L’Amant de Lady Chatterley de Laure de Clermont-Tonnerre est sans doute la meilleure adaptation à ce jour de ce roman controversé, parvenant à reconstituer pas à pas le cheminement psychologique de ses personnages, portés par des acteurs exceptionnels, tout en étonnant par le caractère explicite de ses scènes sexuelles, qui n’a nullement été aseptisé ou censuré par la plateforme.

Après la Première Guerre Mondiale, le mari de lady Chatterley revient de la guerre blessé et impuissant. Il lui suggère qu’ils pourraient avoir un enfant malgré tout si elle acceptait de faire l’amour avec quelqu’un d’autre. L’idée fait son chemin et lady Chatterley tombe amoureuse de leur garde-chasse.

L’Amant de Lady Chatterley de Laure de Clermont-Tonnerre est sans doute la meilleure adaptation à ce jour de ce roman controversé, parvenant à reconstituer pas à pas le cheminement psychologique de ses personnages, portés par des acteurs exceptionnels, Emma Corrin et Jack O’Connell, tout en étonnant par le caractère explicite de ses scènes sexuelles, qui n’a nullement été aseptisé ou censuré par la plateforme.

Dans les nombreuses adaptations cinématographiques de ce roman, (on omettra ici les adaptations télévisées), la première signée Marc Allégret en 1955 avec la légendaire Danielle Darrieux, gardait la trame du roman, sans restituer évidemment sa chair, si l’on peut dire, en raison des contraintes de l’époque. Quelques décennies plus tard, en 1981, Just Jaeckin (Emmanuelle), conforme à sa réputation, mettait en scène une Sylvia Kristel dépourvue de regard et d’intériorité dans une version illustrative et étrangement dénuée de sensualité. En 2006, Pascale Ferran signait une remarquable adaptation, Lady Chatterley, avec Marina Hands, plus exactement adaptée de la version intermédiaire du roman, Lady Chatterley et l’homme des bois, mais, pudeur oblige, elle a centré son film sur la dramaturgie de l’histoire, son romantisme et sa sensualité. Il a donc fallu attendre Laure de Clermont-Tonnerre pour restituer l’essence authentique de ce roman, son caractère sexuel explicite et provocant, son féminisme affirmé et sa dimension politique pourtant évidente.

Avec L’Amant de Lady Chatterley, Laure de Clermont-Tonnerre confirme tout son talent pour saisir l’émerveillement devant la beauté de la nature et l’insertion d’humains dans cet environnement naturel. Elle n’en est pas à son coup d’essai puisque Nevada (Mustang, de par son titre original), avait déjà été remarqué pour sa capacité à filmer la splendeur des grands espaces américains. Dans ce premier film, Matthias Schoenaerts se réinsérait en élevant des chevaux sauvages, ce qui donnait l’occasion à Laure de Clermont-Tonnerre de filmer merveilleusement l’homme en émoi face à la nature et de scénariser la reconstruction d’un ancien détenu. Son oeuvre avait d’ailleurs remporté les Lumières de la presse internationale comme meilleur premier film. Dans L’Amant de Lady Chatterley, ce sont les plaines et les campagnes anglaises qui sont magnifiées dans des plans d’ensemble de toute beauté, tandis qu’en plan rapproché, les corps des personnages sont également sublimés. Laure de Clermont-Tonnerre a apporté un soin tout particulier à l’excellence de sa distribution qui représente le coeur du film. Signalons par exemple qu’elle a engagé Joely Richardson, ancienne titulaire du rôle de Lady Chatterley, dans l’adaptation télévisée de Ken Russell, apportant sa belle présence discrète et essentielle dans le rôle de la gouvernante.

Certains stigmatisent en l’occurrence un changement de politique de Netflix qui aurait choisi de multiplier les films interdits aux moins de dix-huit ans sur sa plateforme, alors qu’il n’y en avait quasiment pas auparavant. Ce n’est pas faux mais, contrairement à Cinquante nuances de Grey ou la saga 365 jours, navets monumentaux, dont les scènes charnelles n’apparaissent pas crédibles une seule seconde, la véracité des scènes sexuelles de L’Amant de Lady Chatterley emportent la conviction. Chorégraphiées grâce à une coordinatrice d’intimité, ces scènes bénéficient de la confiance des deux acteurs qui s’exposent ici comme rarement ils l’ont fait, dans une nudité totale. Par conséquent, à l’opposé des films précités, le film de Laure Clermont-Tonnerre s’impose par sa qualité, celle de sa dramaturgie et de sa direction d’acteurs, tout comme celle de son authenticité qui restitue toutes les infimes nuances du roman, ce qui augure sans doute d’une grande cinéaste en devenir. Pour adapter le roman de D.H. Lawrence, le plus honnêtement possible, contrairement à ses prédécesseurs, Laure de Clermont-Tonnerre ne s’est pas dérobée face à l’obstacle de la représentation.

Tout cela n’aurait pas été possible sans les merveilleux acteurs que Laure de Clermont-Tonnerre a recrutés, donnant une réelle consistance psychologique et charnelle à leurs personnages : Jack O’Connell, très convaincant en Oliver Mellors, fruste dans ses manières et son langage mais d’une grande sensibilité, et surtout Emma Corrin qui, – après avoir incarné Lady Diana dans la saison 4 de The Crown, où elle faisait des étincelles -, prouve qu’elle ne possède aucune limite à son talent et dans son jeu d’actrice. Actrice qui se déclare ouvertement non-binaire, à la suite d’une liste qui s’allonge de plus en plus, (Jodie Foster, Anne Heche, Portia de Rossi, Kristen Stewart, Chloe Grace Moretz, Emma D’Arcy, Faye Marsay présente dans ce film dans le rôle de Hilda, la soeur de Constance Chatterley, etc. ), ébranlant l’industrie cinématographique, Emma Corrin aurait pu reculer devant les nombreuses scènes érotiques de ce film et choisir de les éviter comme la plupart de ses consoeurs. Elle ne l’a pas fait, brisant ainsi peut-être un tabou, étant la première actrice non-binaire à se confronter directement à des scènes d’amour hétérosexuelles explicites. L’alchimie existant avec son partenaire à l’écran fait ainsi beaucoup pour le film, qui, de passion sexuelle, devient tout simplement une très belle histoire d’amour, dans toutes ses dimensions possibles : intellectuelle dans sa révolte contre l’ordre établi, sensible dans sa reconnaissance réciproque de deux âmes au-delà de l’appartenance à deux classes différentes, sensuelle dans son acceptation de deux corps dans leur nudité absolue. La scène déjà culte de leur danse sous la pluie est certainement le plus beau symbole de cet épanouissement total au sein de la nature. Cette conception de l’amour sous ses diverses formes, c’est ce que D.H. Lawrence aurait souhaité voir reconnaître dans son oeuvre ; Laure de Clermont-Tonnerre l’a reconnue et l’a enfin mise en scène à l’écran.

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RÉALISATEUR :  Laure de Clermont-Tonnerre 
NATIONALITÉ : française, britannique 
GENRE :  Romance, historique, drame
AVEC : Emma Corrin, Jack O'Connell, Matthew Duckett, Joely Richardson, Faye Marsay 
DURÉE : 2h06 
DISTRIBUTEUR : Netflix 
SORTIE LE 2 décembre 2022