Agra, une famille indienne : le patriarcat dans toute sa splendeur

Kanu Behl, principalement connu pour son travail dans le cinéma hindi et son film Titli, une histoire indienne (présenté au Festival de Cannes 2014) revient cette année avec un récit qui analyse les sphères familiales de l’Inde sclérosées par la domination masculine. En voulant filmer de l’intérieur ce cocon déchiré par la haine et la soumission, le cinéaste souhaitait dénoncer vivement le patriarcat. Toutefois, la critique se change en une forme de complaisance maladroite qui ne sert qu’a discréditer le message fort et juste initialement voulu par Kanu Behl.

Guru a une vingtaine d’années, il travaille dans un centre d’appels à Agra, il est fou amoureux de l’une de ses collègues, Mala. Guru habite toujours chez ses parents. Leur maison est divisée en deux parties. Guru vit au rez-de-chaussée avec sa mère, son père, à l’étage, avec sa maîtresse. Quand Guru annonce qu’il veut se marier avec Mala, et faire de la terrasse sa future chambre, promise par sa mère à leur cousine pour en faire une clinique dentaire, tout bascule. Les frustrations, les fêlures et les haines familiales éclatent au grand jour, symptômes d’une société indienne patriarcale marquée par de multiples tabous.

Agra, une famille indienne décrit tout un système dominé par un père et son fils qui semble vouloir perpétuer les traditions patriarcales.

A l’intérieur d’une modeste maison, une famille se déchire. Une figure paternelle dominante et à la tête d’un véritable harem, des femmes soumises devant respecter la hiérarchie, un fils obsédé par de fortes tentations sexuelles et qui s’invente une petite amie imaginaire….Kanu Behl raconte un microcosme qui vole en éclats et qui fait passer nos propres systèmes familiaux pour des modèles de référence. Entre insultes grossières, violences, non-dits et incommunicabilité, Agra, une famille indienne débute par une cacophonie pesante, mais qui laisse deviner la puissance du patriarcat, avec l’homme qui décide et les femmes obéissantes. Toutefois, la dénonciation vire rapidement à l’excès avec le personnage principal, Guru, cet homme avide de sexualité, hautement antipathique, une copie conforme de son père, dont l’envie irrépressible de se marier n’est qu’un prétexte pour installer une nouvelle femme dans la maison familiale. A l’instar du film Les Nuits de Mashhad, il existe dans ce film une forme de complaisance maladroite qui finit par glorifier le patriarcat et non à le critiquer. Ceci est bien justifié par la psychologie virile et masculine de ce Guru qui se sert des femmes pour assouvir ses pulsions, marcher sur les traces de son géniteur, et qui devient alors un grand méchant dans un film qui manque cruellement de subtilité. De ce fait, Agra, une famille indienne frise l’indigestion à plusieurs moments, tellement cela force le trait sur ce système social déséquilibré.

Malgré ses maladresses évidentes, Agra, une famille indienne possède au moins le mérite d’alerter sur la position des femmes dans la société indienne.

Le symbole même de cet écart social réside dans les murs de cette maison, sorte de temple du patriarcat, avec une épouse soumise et un mari qui excelle dans la polygamie. Ce qu’il s’y passe est le reflet parfait de l’Inde actuelle. Simplement, le film n’apprend pas grand chose de nouveau, à part cet empire dirigé par une poigne masculine . Kanu Behl délivre une vision dure, bien moins subtile et intelligente que celle de Saim Sadik dans Joyland, ou même le point de vue d’Amjad Al-Rasheed dans Inch’allah un fils, deux oeuvres qui livrent des opinions beaucoup plus ouvertes sur ce sujet. Contrairement à cela, Agra, une famille indienne offre un traitement presque partial qui met en avant la rigidité des mentalités plutôt que l’espoir et les possibilités de changements. Surtout, l’ensemble oscille entre provocation et indignation, créant souvent un malaise palpable à cause de ce Guru maladroitement vu comme un possible héritier de la lignée patriarcale.

1.5

RÉALISATEUR :  Kanu Behl
NATIONALITÉ :  Inde/France
GENRE : Drame
AVEC : Mohit Agarwal, Vibha Chhibber, Rahul Roy
DURÉE : 1h48
DISTRIBUTEUR : Les Films de l'Atalante
SORTIE LE 3 avril 2024