Cannes 2025 : analyse et décryptage de la Sélection Officielle. La politique des films

On a pu entendre ici et là que cette Sélection Officielle manquait de grands noms et qu’elle se signalait par son côté passe-partout et un peu terne. C’est en fait très mal connaître Thierry Frémaux. Certes les grands noms se trouvent un peu aux abonnés absents : déplorons encore une fois l’absence de Terrence Malick qui n’a sans doute pas fini le montage de The Way of the Wind (en raison de ses 3 000 heures pantagruéliques de rushes), véritable Arlésienne du Festival, succédant dans ce rôle à Mégalopolis. Mais Jim Jarmusch, Paul Thomas Anderson, Park Chan-wook, Arnaud Desplechin, Nadav Lapid, etc. n’ont pas non plus été retenus pour des raisons sans doute différentes pour chacun (stratégie pré-Oscars pour le PTA, polémique politique (?) pour le Lapid, déception des sélectionneurs envers d’autres, refus des metteurs en scène concernés de se voir relégués ailleurs qu’en compétition, etc.).

En vérité, Cannes avait déjà accueilli lors des années précédentes post-confinement les plus grands noms possibles à l’heure actuelle : Francis Ford Coppola, Martin Scorsese, Paul Schrader, Marco Bellochio, Nanni Moretti, David Cronenberg, George Miller, Ken Loach, Wim Wenders. Cette année, après avoir visionné 2909 films (record absolu du nombre de films candidats à la compétition), il fallait changer de braquet et renoncer en partie à cette politique des signatures, celle que les journalistes déplorent en la qualifiant de régime de faveur accordé aux « habitués ». Frémaux et son équipe se sont sans doute aperçus cette année que les meilleurs films n’étaient plus signés par les plus grands noms, ce qui était déjà le cas depuis un moment. Qui aurait parié en effet sur Justine Triet en 2023 ou Sean Baker en 2024? Mais cette fois-ci, il n’était plus question pour Frémaux de planter un arbre gigantesque, style Coppola, pour cacher la forêt verdoyante de nouveaux talents. C’est donc sinon une politique de nouveaux auteurs, une politique des films, quels qu’en soient les auteurs, qui se trouve mise en avant.

Dans cette compétition, hormis les frères Dardenne qui font figure de vétérans, alors qu’ils n’ont que 25 ans d’ancienneté en Sélection Officielle, les plus âgés sont Mario Martone (65 ans), Jafar Panahi (64) et Richard Linklater (64) qui, sans leur faire injure, ne sont pas les cinéastes les plus identifiés par le grand public, pour employer un euphémisme. Derrière Sergei Loznitsa, Kelly Reichardt et Dominik Moll, se situant autour des 60 ans, on tombe sur des cinéastes de 55 ans dans la fleur de l’âge, Wes Anderson, Lynne Ramsay et Kleber Mendonça Filho. Par conséquent, tout le reste, soit la moitié de la sélection se trouve entre 35 et 55 ans, le plus jeune étant Saeed Roustaee.

Dans cette sélection, apparaissent donc en première ligne pour représenter leur pays, en l’absence des têtes de pont habituelles (Moretti, Bellochio, Kore-eda, Kawase), des cinéastes qu’on n’attendait pas forcément à pareille fête, Mario Martone ou Chie Hayakawa. L’effet est trop manifeste pour ne pas être totalement volontaire. Cette année, un tiers des entrants sur les 21 films de la compétition, connaissent ainsi leur première sélection. Si Iris Knobloch, la présidente du Festival de Cannes, voulait obtenir confirmation que Cannes sert prioritairement à révéler de jeunes talents, Frémaux lui a par avance donné raison, en mettant clairement cette édition du Festival sous le signe du renouvellement.

De même, Iris Knobloch, en tant que femme, est particulièrement attentive à la part des femmes réalisatrices dans la Sélection Officielle. Comme les femmes représentent 32% des 2 909 films visionnés (versus 68% pour les hommes), il ne saurait être question que la compétition ne reflète pas cet état de fait. C’est chose faite : avec 7 femmes réalisatrices, la compétition retrouve l’étiage de 2023, après une baisse significative en 2024 (4 femmes seulement retenues), ce qui représente exactement un tiers du nombre total des films (21).

Dans les thématiques traitées, Iris Knobloch souhaitait également que cette édition reflète l’ouverture et la diversité du monde, offrant une terre de lumière et d’accueil, voire d’asile aux cinéastes. C’est bien le cas. Les thématiques se divisent environ en quatre groupes approximativement équilibrés, certains étant néanmoins plus prépondérants que d’autres.

Dans le premier groupe, on retrouve ce qu’il est convenu d’appeler une réflexion sur un monde à la dérive, présentant des personnes de classe moyenne ou parfois marginales, voire déclassées (Sirat d’Oliver Laxe, Un simple accident de Jafar Panahi, Les Aigles de la République de Tarik Saleh). La description de communautés plus ou moins fracturées appelle à l’évidence un commentaire social et aussi politique, du moins de manière sous-jacente. Le retour dans le passé (les purges staliniennes de Deux procureurs de Sergei Loznitsa) permet un éclairage assez cruel sur le présent (la réalité actuelle de la Russie).

Dans le deuxième groupe, figurent ce qu’on pourrait qualifier de descriptions d’artistes au travail ou dans leur existence, qu’ils soient écrivains ou cinéastes, fictifs ou réels (Fuori de Mario Martone sur l’écrivaine Goliarda Sapienza, Nouvelle Vague de Richard Linklater sur le tournage mythique d’A bout de souffle de Jean-Luc Godard, l’un des films qui firent basculer le cinéma dans la modernité depuis 1960, Valeur sentimentale de Joachim Trier, sur un cinéaste fictif qui connut par le passé son heure de gloire, avec Renate Reinsve et Elle Fanning).

Le troisième groupe, rejoignant les préoccupations d’Iris Knobloch sur la place des femmes dans la société, rassemble tous les films qui traitent de la condition féminine, un groupe qu’on pourrait intituler Fille, femme, mère. C’est à l’évidence le groupe le plus prolifique de films, contenant les oeuvres écrites et réalisées par des femmes, avec un point de vue féminin, voire féministe, (La Petite dernière de Hafsia Herzi, Renoir de Chie Hayagawa, Die, my love de Lynne Ramsay, Sound of falling de Mascha Schilinski, Romería de Carla Simón) mais aussi les films réalisés par des hommes, plaçant au centre de l’équation le prisme féminin (Jeunes mères des frères Dardenne, Woman and child de Saeed Roustaee). Il faut remarquer que la maternité se trouve souvent questionnée et parfois malmenée (Die, my love, par exemple, sur le syndrome de dépression post-natale). Si l’on rajoute les films des autres sections de la Sélection Officielle, mis en scène par des actrices (Scarlett Johansson, Kristen Stewart, Joséphine Japy, Romane Bohringer), voire le film de Sébastien Lelio sur les féministes chiliennes, La Hola, force est de constater que cette année, le regard féminin sera à nouveau au centre du Festival de Cannes.

Enfin, le quatrième groupe concerne les films de genre. Le tabou est définitivement levé depuis la projection extrêmement marquante de The Substance (et la Palme de Titane). Le genre a définitivement acquis ses lettres de noblesse au Festival. Cette dénomination polysémique peut recouvrir plusieurs catégories de films : le thriller-film policier, plus ou moins hérité des grandes heures des années 70 (Agent secret de Kleber Mendonça Filho, Dossier 137 de Dominik Moll, The Mastermind de Kelly Reichardt), le western (Eddington d’Ari Aster, avec Joaquin Phoenix et Emma Stone, trouvant des échos de l’Amérique d’aujourd’hui dans une campagne d’élection municipale), le film fantastique ou d’horreur (Alpha de Julia Ducournau, avec Golshifiteh Farahani et Tahar Rahim, poursuivant sans crainte dans la voie d’un cinéma mutant) et enfin le film d’espionnage (The Phoenician Scheme de Wes Anderson, mais le film andersonien ne serait-il pas un genre à lui tout seul, avec ses règles et ses figures de style extrêmement spécifiques?) Evidemment, les frontières sont poreuses entre les différents groupes : par exemple, Eddington est à la fois un film de genre et un commentaire sur l’Amérique allant à la dérive ; Jeunes mères est en même temps un film sur la sororité féminine et une description assez clinique d’un monde en voie de désindustrialisation et en proie à la précarité sociale.

Cette synthèse, bien que sommaire, donne ainsi un rapide aperçu de l’éventail des thèmes diversifiés parcourus par les films de la compétition. Mais l’essentiel réside surtout dans la confiance accordée par Frémaux et son équipe à de talents jeunes ou peu connus, une confiance qui inspire une foi grandissante en l’avenir, dont beaucoup de politiques feraient bien de s’inspirer. Il faut espérer qu’ils ne se soient pas trompés sur le talent des cinéastes retenus. Nous serons là pour en juger. Mais en tout cas, le pari lancé par Frémaux est beau, mérite d’être souligné et apprécié à sa juste valeur : 2025, année cannoise des découvertes et du renouvellement.

Compétition

Film d’ouverture

PARTIR UN JOUR de Amélie BONNIN | 1er film – Hors Compétition

THE PHOENICIAN SCHEME de Wes ANDERSON

EDDINGTON de Ari ASTER

JEUNES MÈRES de Jean-Pierre et Luc DARDENNE

ALPHA de Julia DUCOURNAU

RENOIR de HAYAKAWA Chie

THE HISTORY OF SOUND de Oliver HERMANUS

LA PETITE DERNIÈRE de Hafsia HERZI

SIRAT de Oliver LAXE

NOUVELLE VAGUE de Richard LINKLATER

DEUX PROCUREURS de Sergei LOZNITSA

FUORI de Mario MARTONE

O AGENTE SECRETO de Kleber MENDONÇA FILHO
(L’AGENT SECRET)

DOSSIER 137 de Dominik MOLL

UN SIMPLE ACCIDENT de Jafar PANAHI

DIE MY LOVE de Lynne RAMSAY

THE MASTERMIND de Kelly REICHARDT

WOMAN AND CHILD de Saeed ROUSTAEE

LES AIGLES DE LA RÉPUBLIQUE de Tarik SALEH

SOUND OF FALLING de Mascha SCHILINSKI

ROMERÍA de Carla SIMÓN

SENTIMENTAL VALUE de Joachim TRIER

Un Certain Regard

LOVE ME TENDER de Anna CAZENAVE CAMBET

LA MISTERIOSA MIRADA DEL FLAMENCO de Diego CÉSPEDES | 1er film
(THE MYSTERIOUS GAZE OF THE FLAMINGO)

MÉTÉORS de Hubert CHARUEL

MY FATHER’S SHADOW de Akinola DAVIES JR | 1er film

L’INCONNU DE LA GRANDE ARCHE de Stéphane DEMOUSTIER

URCHIN de Harris DICKINSON | 1er film

HOMEBOUND de Neeraj GHAYWAN

A PALE VIEW OF HILLS de ISHIKAWA Kei

ELEANOR THE GREAT de Scarlett JOHANSSON | 1er film

KARAVAN de Zuzana KIRCHNEROVA | 1er film

PILLION de Harry LIGHTON | 1er film

UN POETA de Simón MESA SOTO

AISHA CAN’T FLY AWAY de Morad MOSTAFA | 1er film

ONCE UPON A TIME IN GAZA de Arab et Tarzan NASSER

O RISO E A FACA de Pedro PINHO
(I ONLY REST IN THE STORM)

THE PLAGUE de Charlie POLINGER | 1er film

PROMIS LE CIEL de Erige SEHIRI

LE CITTÀ DI PIANURA de Francesco SOSSAI
(UN DERNIER POUR LA ROUTE)

THE CHRONOLOGY OF WATER de Kristen STEWART | 1er film

TESTA O CROCE? de Matteo ZOPPIS, Alessio RIGO DE RIGHI
(HEADS OR TAILS?)

Hors Compétition

LA VENUE DE L’AVENIR de Cédric KLAPISCH

LA FEMME LA PLUS RICHE DU MONDE de Thierry KLIFA

HIGHEST 2 LOWEST de Spike LEE

MISSION: IMPOSSIBLE – THE FINAL RECKONING de Christopher MCQUARRIE

VIE PRIVÉE de Rebecca ZLOTOWSKI

Séances de minuit

LE ROI SOLEIL de Vincent Maël CARDONA

HONEY DON’T de Ethan COEN

DALLOWAY de Yann GOZLAN

EXIT 8 de KAWAMURA Genki

SONS OF THE NEON NIGHT de MAK Juno

Cannes Première

AMRUM de Fatih AKIN

SPLITSVILLE de Michael Angelo COVINO

MAGALHÃES de Lav DIAZ

LOVE ON TRIAL de Kōji FUKADA

LA OLA de Sebastián LELIO
(LA VAGUE)

CONNEMARA de Alex LUTZ

ÁSTIN SEM EFTIR ER de Hlynur PÁLMASON

ORWELL : 2+2=5 de Raoul PECK

DAS VERSCHWINDEN DES JOSEF MENGELE de Kirill SEREBRENNIKOV
(LA DISPARITION DE JOSEF MENGELE)

Séances Spéciales

ARCO de Ugo BIENVENU | 1er film

DITES-LUI QUE JE L’AIME de Romane BOHRINGER

MARCEL ET MONSIEUR PAGNOL de Sylvain CHOMET

BONO: STORIES OF SURRENDER de Andrew Dominik

QUI BRILLE AU COMBAT de Joséphine JAPY | 1er film

MAMA de Or SINAI | 1er film

AMÉLIE ET LA MÉTAPHYSIQUE DES TUBES de Maïlys VALLADE et Liane-Cho HAN | 1er film