Huit ans se sont passés depuis Hacker. Huit ans, autant dire une éternité pour un cinéaste, qui plus est, de l’envergure d’un Michael Mann, pour certains un Dieu stylistique. Il n’est pourtant pas resté inactif, dirigeant le pilote de la série Tokyo Vice, écrivant le roman de la suite de Heat, etc. On ne s’attendait peut-être pas à le voir aux commandes d’un biopic aussi lisse et formaté. Depuis 2015, le biopic d’Enzo Ferrari fait partie des serpents de mer hollywoodiens et des projets les plus attendus, Christian Bale étant prévu dans le rôle, avant de rejoindre Le Mans 66 de James Mangold qui racontait une partie de l’histoire du constructeur automobile, mais du point de vue de l’antagoniste historique Ford. Ferrari remplit parfaitement son programme de portrait de magnat de l’automobile, avec son lot d’acteurs excellemment dirigés (Adam Driver, Penelope Cruz, Shailene Woodley) mais il y manque peut-être l’étincelle stylistique qui aurait permis de voir décoller le film vers d’autres horizons.
1957 : année noire pour Enzo Ferrari. Son fils Dino vient de mourir d’une dystrophie musculaire. Ses pilotes sont successivement victimes d’accidents. Il frise la banqueroute. Son couple est en crise : Laura, son épouse, qui détient les cordons de la bourse, le menace d’encaisser un chèque. Elle ne supporte pas que Enzo vive le parfait amour avec Lina, sa maîtresse, et lui ait fait un enfant illégitime, Pietro…
Ferrari remplit parfaitement son programme de portrait de magnat de l’automobile, avec son lot d’acteurs excellemment dirigés (Adam Driver, Penelope Cruz, Shailene Woodley) mais il y manque peut-être l’étincelle stylistique qui aurait permis de voir décoller le film vers d’autres horizons.
A la Mostra de Venise 2023, trois biopics se sont succédés : Priscilla de Sofia Coppola, Maestro de Bradley Cooper et Ferrari de Michael Mann. Parmi les trois, Ferrari est celui qui laisse le plus, de façon extrêmement surprenante, une impression de biopic sage. De ces quelques mois de 1957, Michael Mann voulait en faire une tragédie. Le spectateur perçoit bien son intention mais il en reste surtout une banale histoire d’adultère, quelques scènes très spectaculaires et une potentielle dimension opératique insuffisamment développée. Les acteurs, tous remarquables, ne sont pas véritablement en cause, même si Penelope Cruz ressort sa sempiternelle rengaine de mégère jalouse et colérique, alors qu’elle possède une palette bien plus étendue.
Le style mannien ressemble à un concentré de romantisme et de pesanteur existentielle, cf. les romances impromptues de Miami Vice, du Solitaire ou de Hacker. Or Enzo Ferrari, s’il est pris en tenaille entre ses pilotes qui meurent et ses femmes qui se partagent son temps, n’a rien de particulièrement romantique ni sentimental. Il serait même plutôt cynique, considérant qu’il vaut mieux éviter de se lier d’amitié avec ses pilotes car ils courent trop de risques. Partant de là, on contemple Ferrari comme une belle mécanique de mise en scène, sans trop nous-mêmes nous attacher au personnage principal qui a pour devise de ne s’attacher à personne.
Il nous manque ainsi un peu de profondeur existentielle, celle à l’oeuvre dans les grands Michael Mann (Heat, Révélations) qui transcende la matière humaine pour nous emmener dans les tréfonds de l’être, ou même dans Hacker, opus plus modeste, qui donnait une belle leçon de mise en scène précise et légère. A quelques moments de Ferrari, on s’approche un peu de ces précieux moments manniens, lorsque les véhicules s’envolent, délivrés de l’apesanteur, pour délivrer une sanction injuste de mort et surtout quand Enzo Ferrari contemple le désastre de l’accident tragique des Mille Miglia, sur fond de musique de Lisa Gerrard, déjà présente dans Révélations et Ali, elle qui a tant fait pour fournir une dimension tragique à Gladiator de Ridley Scott. En ces rares instants, Michael Mann atteint l’ampleur opératique qui manque à l’ensemble de Ferrari, biopic de bonne tenue mais globalement peu transcendant. Disons que, comme Ferrari est le premier film de Michael Mann depuis huit ans, il s’agit d’un tour de chauffe encourageant. Quoi qu’on pense de Ferrari, la plupart des critiques s’accorderont pour dire qu’il est particulièrement injuste qu’un film d’une telle qualité ne soit présenté que sur plateforme au public français. Les moments de course où les moteurs vrombissent ne prennent en effet toute leur ampleur que sur grand écran.
RÉALISATEUR : Michael Mann NATIONALITÉ : américaine GENRE : biopic, drame AVEC : Adam Driver, Penelope Cruz, Shailene Woodley DURÉE : 2h10 DISTRIBUTEUR : Amazon Prime Video SORTIE LE 8 mars 2024