Depuis quelques années, Lucie Borleteau trace un chemin passionnant du côté de l’identité féminine et de l’expérience du pouvoir (Fidelio, l’Odyssée d’Alice, Chanson douce). Avec A mon seul désir, elle prend énormément de risques avec un sujet brûlant en pratiquant l’immersion au sein d’un club de strip-tease. Dans un contexte post #MeToo, ce type de sujets pourrait apparaître problématique. L’habileté et le talent de Lucie Borleteau résident dans sa manière de désamorcer toute polémique en projetant un regard tout empli d’humanité bienveillante sur ces strip-teaseuses qui détiennent en fait le véritable pouvoir, celui d’éveiller le désir, force de vie.
Aurore, jeune étudiante, pousse pour la première fois les portes d’un club de strip-tease, A mon seul désir. Elle y rencontre Mia, une jeune actrice qui y travaille pour des motivations alimentaires mais ne perd pas de vue son désir de devenir avant tout comédienne. Aurore et Mia se sentent de plus en plus attirées l’une vers l’autre….
Un regard tout empli d’humanité bienveillante sur ces strip-teaseuses qui détiennent en fait le véritable pouvoir, celui d’éveiller le désir, force de vie.
Récemment les films plus ou moins axés sur la sororité se multiplient : La Maison, Mon Crime et aujourd’hui A mon seul désir. Effet de mode, opportunisme pour certains, conviction enracinée chez d’autres. En tout cas, par rapport à La Maison, adapté du roman d’Emma Becker, A mon seul désir se démarque nettement de deux manières : alors que La Maison sombrait assez rapidement dans le trash et la vulgarité, A mon seul désir réinvestit les thématiques du désir et de la liberté, en montrant surtout comment une activité de strip-tease se révèle être le vecteur d’un épanouissement féminin. C’est ainsi un élan vital, un Girl Power qui s’exprime de manière solaire et éclatante, renvoyant tous les clichés du graveleux à la poubelle. Car, en fait, contrairement à La Maison, A mon seul désir ne prend en ligne de compte que la concrétisation de la liberté féminine et non son asservissement, ce que signifie de manière claire le titre du film.
Serait-ce la différence entre prostitution et strip-tease qui fait que l’un des films est largement supérieur à l’autre? Le fait que dans l’un il s’agit de montrer et de donner envie, alors que dans l’autre, il s’agit de satisfaire sans réel résultat les instincts animaux de la gent masculine. Peut-être pas, Mizoguchi en son temps a réalisé un magnifique film, son dernier, sur la prostitution féminine, La Rue de la honte. Néanmoins, il existe certainement une différence de regard qui permet à A mon seul désir de sortir du lot, par sa vitalité, son rayonnement et surtout son humour. Certaines scènes se révèlent être particulièrement drôles, comme lorsque Mia débite du Tchékhov en plein numéro de strip-tease ou quand Aurore déniaise un client puceau, arborant des lunettes à double foyer.
Très vite, en fait, le club de strip-tease ne devient qu’un cadre pour une histoire d’amour qui naît entre les deux protagonistes féminines. Chacune a son destin, l’une, Aurore (excellente Louise Chevillotte, déjà remarquée chez Philippe Garrel et Nadav Lapid), expérimentant ses limites, en se livrant à une prostitution de luxe, l’autre, Mia (sensible Zita Hanrot) ne rêvant que d’accomplir sa carrière d’actrice. Si l’histoire de Mia relève quelque peu du cliché avec happy end en prime, Lucie Borleteau réussit à faire en sorte qu’on s’attache beaucoup aux personnages, alors que le film ne bénéficie pas véritablement d’une forte charpente dramatique. C’est un peu l’histoire d’un Jules et Jim au féminin où le garçon refuserait d’aller jusqu’au bout d’un trio possible. D’un hymne à la sororité, on passe dans la seconde partie du film à une romance lesbienne impossible en raison de la non-concordance entre les désirs des corps et les souhaits des esprits. Si Zita Hanrot confirme la qualité et la justesse de son jeu, c’est Louise Chevillotte, évoquant par moments via ses discrètes taches de rousseur une Isabelle Huppert joviale et dénuée de perversité, qui prend à bras-le-corps la charge sensuelle et dramatique de l’oeuvre, et s’affirme comme la révélation éclatante du film, aussi crédible en étudiante « ordinaire » qu’en Reine de la Nuit, en affirmant jusqu’au bout la primauté de son désir et de sa liberté. Elle parvient même, prodige du jeu d’actrice, alors qu’elle se dévoile très naturellement sans détours, à préserver jusqu’à la fin un entier mystère qui demeure irrésolu dans le départ et l’absence.
A mon seul désir est rempli de bienveillance, de joie et de vitalité et dresse un portrait plein d’empathie à l’égard des hommes qui, sauf rares exceptions, se montrent respectueux, tolérants et généreux envers les femmes, cf. l’amoureux d’Aurore ou le client qui décide d’annuler son rendez-vous, n’assumant pas son désir, tout en payant l’intégralité du montant prévu. Pour autant, Lucie Borleteau n’occulte pas les risques et les dangers de ce type d’activités, cf. les agressions par des clients, dont Aurore se trouve victime en cabine privée ou le risque de dérive habilement évacué en rendez-vous d’escorte avec des étudiants en école de commerce. Pourtant, le moment (confession émouvante sans contre-champ de Zita Henrot) où Mia évoque un rendez-vous qui a dégénéré en violences sexuelles se situe en-dehors de ces activités, pour bien souligner que l’hydre de l’agression sexuelle existe partout, et peut-être même davantage dans le milieu du cinéma.
RÉALISATEUR : Lucie Borleteau NATIONALITÉ : française GENRE : romance AVEC : Louise Chevillotte, Zita Hanrot, Laure Giappiconi, Thimotée Robart, Melvil Poupaud DURÉE : 1h57 DISTRIBUTEUR : Pyramide Distribution SORTIE LE 5 avril 2023