La Maison : la chair est triste et j’ai lu tous les livres

La thématique des maisons closes a souvent inspiré les artistes cinématographiques. De La Rue de la honte de Mizoguchi à L’Apollonide de Bonello, en passant par La Maison Tellier, l’épisode du Plaisir de Max Ophuls, les filles de joie ont souvent accompagné les souvenirs cinéphiliques. Il n’en sera probablement pas de même pour La Maison de Anissa Bonnefont, adapté de l’ouvrage à succès d’Emma Becker qui avait fait légèrement scandale en son temps, où l’autrice racontait avoir passé deux ans dans une maison close à Berlin pour écrire son nouveau roman ou plutôt autofiction. De l’ouvrage pourtant intéressant d’Emma Becker, Anissa Bonnefont ne retient aucun réel point de vue ou mise à distance du sujet, sinon une sororité de pacotille.

Emma, jeune écrivaine, depuis longtemps fascinée par le sujet de la prostitution, et poussée par des problèmes de loyer, décide de se faire engager comme prostituée dans une maison close à Berlin. Elle connaîtra le Manège, établissement glauque où les filles ne communiquent pas, puis la Maison, univers chaleureux où se rencontrent des filles de différentes nationalités qui se serrent les coudes face à une expérience assez hors du commun…

De l’ouvrage pourtant intéressant d’Emma Becker, Anissa Bonnefont ne retient aucun réel point de vue ou mise à distance du sujet, sinon une sororité de pacotille.

Si La Maison ne marque guère les esprits, c’est que Anissa Bonnefont a voulu cocher toutes les cases, ce qui représente la meilleure manière de n’en satisfaire aucune. Pourtant le fait qu’une femme se trouve aux commandes de ce sujet aurait pu apparaître comme profondément réconfortant : enfin une femme allait donner son point de vue sur la question de la prostitution au cinéma ; enfin un point de vue féminin allait pouvoir s’exprimer et s’imposer, en étant raccord avec celui de l’écrivaine. A l’arrivée, étant donné le nombre de plans gratuitement graveleux du film et faussement émoustillants, on s’interroge sur la réelle différence entre point de vue masculin, le fameux « male gaze » et féminin, le « female gaze ». Il n’y en a pas vraiment ici, Bonnefont reprenant les codes usités et peu engageants de la représentation masculine, sans même pouvoir rendre justice à la beauté de ses actrices. On se demande même si, à rebours des idées reçues et faussement féministes, certains cinéastes masculins n’ont pas été plus justes, dignes et pudiques (et même plus féministes) sur la question. En fait, Anissa Bonnefont aurait pu verser dans le film naturaliste, sordide mais poignant (option tirant vaguement vers Mizoguchi, sans la poésie du maître), ce qui aurait constitué une version honnête de l’histoire, mais il aurait fallu pour cela n’engager que des débutantes pour garantir l’authenticité du projet. Au lieu de cela, on se retrouve avec un film oscillant entre cette première option peu imaginative mais relativement honorable, Bonnefont venant du documentaire (Wonder Boy, Nadia), le téléfilm médiocrement érotique qui a rempli les grilles du dimanche soir de M6, excitant plus ou moins mollement les puceaux de l’époque, et une comédie faussement almodovarienne (la seule option un peu originale), via la présence de l’atypique Rossy De Palma, qui s’exprime par une unique scène vraiment réussie, celle se déroulant entre Philippe Rebbot et Ana Girardot sur une leçon de cunnilingus. Si le film avait choisi cette voie, qui n’aurait pas été très éloignée de celle de Belle de jour, l’immense chef-d’oeuvre écrit par Luis Buñuel et Jean-Claude Carrière sur le continent noir, c’est-à-dire la sexualité féminine, La Maison aurait peut-être pu prétendre à une place d’honneur parmi les films donnant lieu à une représentation des maisons closes. Mais en ne choisissant pas, Bonnefont condamne son film à aller doucement et sûrement dans le mur des échecs.

La plupart du temps, en-dehors de cette scène précitée, La Maison déçoit ainsi énormément car ce film doit faire face à une monumentale erreur de casting. Passe encore que Ana Girardot ne ressemble absolument pas à Emma Becker, la réalisatrice ayant remplacé une petite pomme par une grande tige, pour reprendre la typologie truffaldienne explicitée dans L’Homme qui aimait les femmes. Le principal obstacle consiste en l’absence de rouerie, de malice et de provocation de Ana Girardot, actrice pourtant extrêmement séduisante mais qui dégage surtout de l’honnêteté et de la gentillesse, sans distiller aucune once de sensualité à l’écran. Sa beauté légèrement asymétrique représente l’argument visuel du film, alors que la réalisatrice n’est pas rendue compte que l’essentiel du rôle reposait sur la confiance en soi du personnage. Physiquement somptueuse, elle ne convainc pourtant pas en icône de la sexualité, censée rayonner d’effluves d’attractivité, ce qui n’enlève rien à son talent. On peut néanmoins regretter pour elle qu’elle se soit autant donnée dans ce rôle pour un résultat aussi médiocre. Ce « miscasting » entraîne alors le film dans une chute sans fin, hormis la fin qui délivre enfin le spectateur. Car les autres personnages n’existent quasiment pas, se perdant dans des caricatures dépourvues de réelle humanité (la maîtresse dominatrice, la prostituée âgée, etc.), censées pourtant évoquer de loin une sororité, terme souvent de façade pour cacher des dissensions internes, et un féminisme dont on peine à voir les tenants et les aboutissants.

La Maison d’Emma Becker est pourtant un bon livre qui ne tient aucunement par sa dramaturgie, mais plutôt par sa langue (sans jeu de mots) habitée, colorée et souvent très drôle, même si le meilleur ouvrage de l’écrivaine serait plutôt à chercher du côté de Monsieur, première autofiction qui l’a fait connaître. Adapter La Maison, était-ce pour autant une bonne idée? Peut-être pas. Il aurait fallu faire du film une véritable comédie, en renonçant aux aspects graveleux, frelatés et gratuitement sexuels. C’était peut-être trop demander à un projet qui se drape derrière des oripeaux faussement sororaux et féministes pour ne célébrer que les codes masculins de la représentation du sexe à l’écran.

0.5

RÉALISATEUR :  Anissa Bonnefont 
NATIONALITÉ : française 
AVEC : Ana Girardot, Aure Atika, Rossy de Palma
GENRE : drame 
DURÉE :  1h30 
DISTRIBUTEUR : Rezo films
SORTIE LE 16 novembre 2022