Le Discours : De la misanthropie ordinaire

Le Discours fait partie de ces comédies qui ont obtenu le Label Cannes 2020, afin de donner une touche plutôt optimiste à la Sélection Officielle d’un Festival qui n’a jamais eu lieu pour les raisons que l’on sait. Adapté d’un roman éponyme de l’auteur de bandes dessinées Fabcaro, ce film de Laurent Tirard se distingue par l’utilisation de divers procédés cinématographiques, afin de restituer l' »action » du livre qui se passe uniquement dans le cerveau du narrateur : suppression du quatrième mur qui se traduit par des adresses à la caméra, arrêts sur image pour l’ensemble des personnages hormis le protagoniste, montage extrêmement rapide d’inserts autour d’une scène quasiment unique, celle d’un repas de famille. Dans cette comédie au tempo inextinguible, une telle virtuosité qui permet avec allégresse de faire passer beaucoup d’invraisemblances ne finit-elle pas se retourner contre son auteur et par devenir contre-productive?

Adrien est coincé. Coincé à un dîner de famille où papa ressort la même anecdote que d’habitude, maman ressert le sempiternel gigot et Sophie, sa soeur, écoute son futur mari comme s’il était Einstein. Alors il attend. Il attend que Sonia réponde à son sms, et mette fin à la « pause » qu’elle lui fait subir depuis un mois. Mais elle ne répond pas. Et pour couronner le tout, voilà que Ludo, son futur beau-frère, lui demande de faire un discours au mariage… Oh putain, il ne l’avait pas vu venir, celle-là ! L’angoisse d’Adrien vire à la panique. Mais si ce discours était finalement la meilleure chose qui puisse lui arriver ?

Dans cette comédie au tempo inextinguible, une telle virtuosité qui permet avec allégresse de faire passer beaucoup d’invraisemblances ne finit-elle pas se retourner contre son auteur et par devenir contre-productive?

Laurent Tirard définit Le Discours comme son deuxième premier film, comme s’il avait eu envie d’effacer ou du moins d’occulter le reste de son parcours cinématographique, entre films culturels (Molière), commandes un peu forcées (Astérix et Obélix au service de sa Majesté) et comédies à base de scénarios originaux (.Un Homme à la hauteur, Le Retour du héros). Et il est vrai en effet que le film est porté dans sa première heure par un certain élan dû à l’utilisation de procédés cinématographiques sinon nouveaux, du moins assez vigoureux : l’adresse à la caméra empruntée à A bout de Souffle de Godard ou Annie Hall de Woody Allen, les arrêts sur image, la scène quasiment unique d’un repas de famille assez buñuelien (on pense parfois, toutes proportions gardées, au Charme discret de la bourgeoisie, sans l’ironie cruelle, sarcastique et surréaliste de Don Luis). Par conséquent, cultivé par des inserts permanents, le rythme vif du Discours permet de passer un moment relativement agréable, même si le protagoniste s’ennuie à un repas de famille, en attendant désespérément le sms de sa bien-aimée qui tarde souvent à venir.

Coincé entre des parents plutôt envahissants, un beau-frère assez gênant et le reste de la famille plus que pitoyable, le narrateur n’a pas trop de difficultés pour engendrer un phénomène d’identification à une situation que tous ont plus ou moins connue. Cette situation relève de la misanthropie ordinaire, lorsque tous les comportements vous apparaissent conventionnels et tristement prévisibles. Une telle détestation ne suffit pas à dévaloriser la situation d’un film car la mauvaise conscience peut parfois produire d’excellents résultats artistiques. Or lorsque l’utilisation des procédés, amusante jusque-là, devient plus que lourde et systématique, on se surprend à penser que la virtuosité déployée par tant d’effets finit par se retourner tel un boomerang contre celui qui l’a lancée. Laurent Tirard, auteur des célèbres Leçons de cinéma du défunt Studio Magazine, commet ici une erreur qu’il aurait pu facilement éviter : ne pas rendre systématique sur la durée d’un long métrage ses procédés. Il eût fallu laisser respirer ses personnages afin qu’ils ne finissent pas par devenir des caricatures. Il aurait été souhaitable de briser le rythme, de ménager des pauses et de modifier l’apparition et la fréquence de ses effets de style. A défaut de l’avoir fait, Le Discours finit par perdre de son souffle dans sa deuxième partie et par laisser une moins bonne impression que celle de départ. Ce qui est plutôt dommage.

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RÉALISATEUR : Laurent Tirard
NATIONALITÉ : française
AVEC : Benjamin Lavernhe, Sara Giraudeau, Kyan Khojandi
GENRE : Comédie
DURÉE : 1h28
DISTRIBUTEUR : Le Pacte
SORTIE LE 9 juin 2021