Il n’est jamais facile de faire des films dignes de blockbusters américains lorsque l’on est français. Pris en tenaille entre, d’une part, la doxa de l’exception culturelle française résistant vaillamment à l’envahisseur américain et, d’autre part, la figure tutélaire mais controversée de Luc Besson, les aspirants cinéastes qui souhaiteraient s’essayer au style américain n’ont que peu de marge de manœuvre. Ce n’est certainement pas quelque chose que contredirait le jeune cinéaste Mathieu Turi : après dix ans passés à assister la réalisation de blockbusters américains tels que GI Joe : Le Réveil du Cobra de Stephen Sommers, Sherlock Holmes : Jeux d’Ombres de Guy Ritchie ou Lucy de Luc Besson , le réalisateur, repassé derrière la caméra en 2017, sort en salles son deuxième film, Méandre, un film à concept qui entendait bien se frayer une place au devant de la scène en cette période de réouverture des salles. Du casting de la vedette du film, l’actrice française Gaïa Weiss, au parti pris de ne distribuer le film qu’en VF, tout semble indiquer que l’équipe du film ambitionnait de proposer un blockbuster à la française, dans un pays dont les institutions cinématographiques sont historiquement réfractaires aux films de genre américains : si le pari en valait la peine, le film, lui, peine à se hisser pleinement à la hauteur du défi.
Méandre nous fait suivre l’histoire de Lisa qui, après un accident de covoiturage, reprend ses esprits dans un tube étrange, pas plus large qu’un mètre et demi de haut. Quand la paroi d’un des murs s’ouvre, Lisa est précipitée dans une course pour sa survie : derrière chaque paroi repose une série de pièges qui, entre lames tranchantes et bains d’acides, pourraient bien lui coûter la vie. Sur son poignet, un bracelet encombrant en guise de boulet de forçat la chronomètre, la poussant à ramper toujours plus loin dans ce méandre de tunnels qui n’en finit pas. Dans cette course contre la montre, Lisa a tout à gagner : la liberté, et la vie.
Avec Méandre, Mathieu Turi est encore loin de jouer dans la même cour qu’un Besson ou qu’un Carpenter. Mais il serait injuste de ne pas souligner que le réalisateur est clairement sur une pente ascendante, et qu’en termes esthétiques de mise en scène, de décor et de prises de vue, son potentiel n’est clairement pas négligeable.
Pour les spectateurs qui auraient pu voir Hostile, le premier long-métrage de Mathieu Turi, Méandre pourra constituer, dans ses débuts, une très agréable surprise. Loin des longueurs de son premier film, le réalisateur propose ici un concept plutôt simple, qui guide assez efficacement l’ensemble de son film. Plus que le scénario de film de genre, ce sera surtout l’approche esthétique qui saura satisfaire : les murs minimalistes traversés de lumières transversales et répétitives sont d’un très bon effet, et l’ambiance visuelle du film, proche de l’intérieur des vaisseaux spatiaux de Denis Villeneuve dans Premier Contact, est tout à fait satisfaisante. On peut d’ailleurs souligner la réussite du pari de Mathieu Turi de filmer l’intégralité du film dans un espace clos, sans se cantonner à la fixité d’un huis clos et en tentant d’intégrer le plus de dynamisme possible dans le format de l’image, dans les angles de vue et dans le montage. À ce titre, le film est d’ailleurs plus un film sadique que claustrophobe : la variété des angles de vue est suffisante pour créer un sentiment d’espace large, sans pour autant transiger sur l’aspect étouffant des couloirs labyrinthiques que parcourt la protagoniste. Pour autant, certaines scènes viennent trancher avec cette esthétique minimaliste et tirer l’ensemble vers le bas, notamment celles voyant apparaître des monstres sanguinolants peu impressionnants, aussi impersonnels que le traditionnel monster of the week d’une série américaine quelconque du samedi soir.
Un autre aspect du film qui laisse quelque peu à désirer est malheureusement l’un de ses éléments principaux, à savoir son personnage féminin. Si Gaïa Weiss exécute très bien son rôle et les directions du réalisateur, le problème repose plutôt dans la construction même du personnage, qui manque tout de même d’une certaine profondeur. Le personnage oscille entre différentes scènes topiques propres au genre de l’action et de l’épouvante/horreur, en donnant parfois l’impression que ses émotions sont décousues voire peu cohérentes. Le jeu satisfaisant de Gaïa Weiss permet de masquer l’essentiel de ces faiblesses, mais on ne saurait non plus totalement les oublier. Malgré tous les efforts de l’actrice, la protagoniste à presque quelque chose de plastique, enchaînant les différentes expressions faciales attendues pour chaque scène convenue, mais sans réussir à créer un personnage entièrement convaincant, défini plus par une personnalité propre que par le concept qui dirige le film. Le personnage féminin apparaît presque comme un objet, ce que n’arrangent pas certains angles de caméra réifiant qui, collant de près au corps de l’actrice et à son étrange combinaison moulante, sexualisent maladroitement le tout. Malgré tous les efforts des différents ressorts narratifs relançant continuellement l’intrigue, le personnage de Lisa se perd quelque part entre Ellen Ripley et Lara Croft, incapable d’égaler l’une comme l’autre. Il n’y a cependant rien d’étonnant à cette bi-dimensionnalité de la protagoniste dans un film dont l’équipe technique est, à l’exception de l’actrice principale, de la costumière et de la maquilleuse, exclusivement masculine.
Avec Méandre, Mathieu Turi est encore loin de jouer dans la même cour qu’un Besson ou qu’un Carpenter. Mais il serait injuste de ne pas souligner que le réalisateur est clairement sur une pente ascendante, et qu’en termes esthétiques de mise en scène, de décor et de prises de vue, son potentiel n’est clairement pas négligeable. S’il maintient l’ambition de faire valoir des films d’action mêlant science-fiction, thriller et horreur/épouvante, il lui faudra cependant clairement repenser son rapport à ses personnages féminins, ainsi que sa conception du scénario. En attendant, Méandre est un film dont on se souviendra peut-être moins pour lui-même que pour le futur prometteur qu’il laisse entendre pour le reste de la carrière de son réalisateur – à condition de modifier sérieusement l’écriture de ses personnages.