Women talking : partir, disent-elles

Produit par Plan B (Brad Pitt et Dede Garner) et Frances McDormand, Women talking fait partie des films qui n’auraient sans doute pas été possibles avant le 5 octobre 2017. Ce film de Sarah Polley, brillante actrice vue dans les films d’Atom Egoyan (De Beaux lendemains, Exotica) et Zach Snyder (L’Armée des morts), s’inscrit délibérément dans une thématique post #MeToo, décrivant dans un contexte presque intemporel, les délibérations de femmes d’une colonie après la découverte d’agressions sexuelles régulières commises par les hommes lui appartenant. Ce dilemme est traité sous forme de fable universaliste, afin que la plupart des gens opprimés puissent s’y identifier. On aurait aimé adorer ce film réalisé, interprété et produit essentiellement par des femmes, donnant a priori une image prometteuse d’un cinéma au féminin. Sous une forme impeccable (photographie, musique, interprétation exemplaires), Women talking manque néanmoins d’un soupçon de dramatisation pour captiver définitivement le spectateur.

En 2010, dans un pays indéterminé. Dans une communauté un peu archaïque, des femmes se retrouvent agressées et violées pendant leur sommeil. Au réveil, on leur fait croire qu’il s’agit de fantômes ou de mauvais esprits, jusqu’à ce qu’un homme de la colonie soit attrapé en flagrant délit et dénonce ses petits camarades. Les coupables sont envoyés en prison. Les autres hommes paient leur caution et laissent deux jours aux femmes de la colonie pour se déterminer sur la position qu’elles adopteront au retour des coupables : ne rien faire et pardonner, rester et se battre ou partir…

Women talking appartient à ce type de films de femmes, à l’écriture assez oblique, à la manière de She said, qui, en ne montrant pas ou laissant hors champ les agresseurs et les agressions, en faisant donc le choix de ne pas désigner clairement l’ennemi, et en occultant à son sujet toute représentation, prive l’intrigue d’un antagoniste sérieux, et dévitalisent le danger ainsi que le suspense dramatique qui pourraient en naître.

Sarah Polley avait auparavant réalisé de jolis films, délicats et sensibles, Loin d’elle sur la maladie d’Alzheimer, Take this waltz, sur une attirance amoureuse coupable, où l’on retrouvait déjà le couple clandestin des Fabelmans, Michelle Williams et Seth Rogen, et surtout le très beau Stories we tell, où elle expose son histoire familiale au grand jour. Women talking se situe dans cette ligne très féminine, voire féministe, en racontant une histoire presque intemporelle, adaptée du roman Ce qu’elles disent de l’écrivaine canadienne Miriam Toews, Sarah Polley tient le pari d’un quasi huis clos, huit femmes se réunissant dans la grange d’une ferme pour décider de la suite des événements, les débats étant consignés par le seul homme resté sur place, l’instituteur, August, (Ben Whishaw, donnant une image assez dévitalisée et trop pleurnicharde de la masculinité), amoureux sans espoir d’une des femmes, Ona. Trois partis semblent se détacher, incarnés chacun par une femme : Marishe (Jessie Buckley), celle qui préférerait rester et pardonner, Salome (Claire Foy), celle qui aimerait rester et combattre et enfin Ona (Rooney Mara), celle qui préférerait partir et commencer une autre vie.

Si Women talking se révèle être excellement photographié (belles images sépia à la limite du noir et blanc de Luc Montpellier, rappelant la peinture néerlandaise, Rembrandt ou Vermeer), mis en musique (après Chernobyl, Joker, Tàr, Hildur Guðnadóttir fait encore merveille), interprété (distribution impeccable, presque exclusivement féminine) et écrit (quelques répliques font mouche lorsque par exemple, Ona répond à August « que ferais-tu si ton opinion n’avait jamais compté?« , faisant référence aux femmes qui ont toujours été délaissées), il souffre malheureusement d’un unique défaut mais malheureusement majeur, une absence de dramatisation. Car entre les trois choix laissés à la discrétion des femmes de la communauté, seule une option s’avère en réalité viable, ce dont il n’est pas même nécessaire de discuter pendant deux heures. Par conséquent, contrairement à Douze hommes en colère, où l’enjeu dramatique devient de plus en plus intense au fur et à mesure de l’avancée du film, Women talking s’achemine lentement mais sûrement vers une issue extrêmement prévisible, où les confrontations entre les trois actrices principales n’auront servi que d’aimable et agréable mascarade. A cela, s’ajoute un certain didactisme programmatique qui s’affiche de temps à autre un peu pesant, voire artificiel (une situation de huis clos où les hommes laissent toute liberté aux femmes pour opter de leur vie à venir, alors qu’ils sont censés être oppresseurs). Women talking appartient à ce type de films de femmes, à l’écriture assez oblique, à la manière de She said, qui, en ne montrant pas ou laissant délibérément hors-champ les agresseurs et les agressions, en faisant donc le choix de ne pas désigner clairement l’ennemi, et en occultant à son sujet toute représentation, prive l’intrigue d’un antagoniste sérieux, et dévitalisent le danger ainsi que le suspense dramatique qui pourraient en naître.

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RÉALISATEUR : Sarah Polley
NATIONALITÉ : canadienne
GENRE :  Drame
AVEC : Rooney Mara, Claire Foy, Jessie Buckley, Ben Whishaw, Frances McDormand 
DURÉE : 1h44 
DISTRIBUTEUR : Universal Pictures International France 
SORTIE LE 8 mars 2023