Autant le dire d’emblée, la remise de la Caméra d’or 2022 a été plutôt une surprise. On n’attendait pas Gina Gammell (à l’origine productrice) et Riley Keough (petite-fille d’Elvis Presley et actrice remarquée dans les films de Steven Soderbergh, George Miller, Trey Edward Shults, Lars Von Trier et David Robert Mitchell et la première saison de The Girlfriend Experience) à pareille fête. Avec le recul, cette Caméra d’or apparaît en fait comme une évidence. Au lieu de faire un film plus ou moins autobiographique sur un univers frelaté de stars, ce qui eût représenté la facilité, Gina Gammell et Riley Keough se sont penchées avec beaucoup de générosité sur les déclassés du rêve américain, à travers le destin de deux jeunes Indiens du Dakota du Sud. Filmé avec attention et tendresse, War Pony permet de s’immerger avec bonheur dans un monde digne et a priori fort éloigné du nôtre, ce qui n’est en fait qu’une apparence.
Deux jeunes hommes de la tribu Oglala des Lakotas vivent dans la réserve indienne de Pine Ridge dans le Dakota du Sud. À 23 ans, Bill cherche à joindre les deux bouts en faisant des livraisons ou en élevant des caniches. Il est déterminé à se frayer un chemin pour atteindre le « rêve américain ». Matho, jeune adolescent de 12 ans, est quant à lui impatient de devenir un homme. Cherchant désespérément à obtenir l’assentiment de son jeune père, Matho prend une série de décisions impulsives qui bouleversent sa vie et ne lui permettent pas de faire face aux dures réalités de ce monde. Liés par leur quête d’appartenance à une société qui leur est hostile, Bill et Matho vont tenter tant bien que mal de tracer leur propre voie vers l’âge adulte.
Une belle réussite de mise en scène, de direction d’acteurs et de montage, sur une communauté amérindienne laissée au bord de la route.
Tout le film provient d’une rencontre entre Riley Keough et des figurants indiens sur le tournage d’American Honey d’Andrea Arnold. Cette rencontre a été tellement marquante que ces deux figurants, Bill Reddy et Franklin Sioux Bob, sont tout simplement devenus les coscénaristes du film, donnant un cachet d’authenticité à l’histoire, ce qui n’aurait peut-être pas été le cas si le film avait été uniquement la création de deux jeunes femmes blanches. On pense évidemment au beau premier film de Chloe Zhao, Les Chansons que mes frères m’ont apprises, qui fonctionne sur un mode plus contemplatif et méditatif. Chez Gina Gammell et Riley Keough, les actions et les impasses s’enchaînent, montrant que Bill et Matho ont en définitive peu d’issues pour se sortir d’une spirale négative de violence et de délinquance. Sur un rythme très efficace, nous vivrons les aventures en alternance de Bill et Matho traitées dans un registre documentaire, quasiment naturaliste qui n’occulte pourtant pas les échappées oniriques, se matérialisant surtout dans les apparitions d’un bison mystérieux, symbole d’une vie ancestrale, rêve d’une liberté qui vient se heurter à une réalité cabossée, constituée de mauvais deals et de plans foireux.
War Pony est ainsi mis en scène sur un rythme intense ne laissant pas de répit au spectateur, et faisant partager avec empathie et bienveillance l’intimité d’une communauté. De même, le film se démarque par une direction d’acteurs absolument parfaite, les deux jeunes gens tenant les deux rôles principaux étant épatants de naturel. Certes, on peut signaler que le film faiblit légèrement dans sa dernière demi-heure, le montage alterné se faisant un peu répétitif. Cette faiblesse tardive ne ternit guère l’ensemble du film qui s’avère une belle réussite de mise en scène, de direction d’acteurs et de montage, ce qui n’a pas échappé à Arnaud Desplechin au Festival de Deauville qui lui a accordé son prix du jury, juste derrière Aftersun. Au même Festival, il a également obtenu le Prix de la Révélation. On peut évidemment discuter des mérites comparés d’Aftersun et War Pony, ce dernier étant plus efficace et construit, tandis que l’autre fonctionne avec effet-retard. L’avenir dira lequel de ces deux films est annonciateur d’une belle oeuvre en germination.
RÉALISATEUR : Gina Gammell et Riley Keough NATIONALITÉ : américaine GENRE : drame AVEC : Jojo Bapteise Whiting, LaDainian Crazy Thunder, Ashley Shelton DURÉE : 1h55 DISTRIBUTEUR : Les Films du Losange SORTIE LE 10 mai 2023