Walk Up : Le Château

Le Château. OK, il s’agit en réalité d’un modeste immeuble à Séoul, dont la propriétaire reçoit la visite du héros, vieille connaissance qui souhaite lui présenter sa fille — dans le but à demi avoué qu’elle l’embauche comme apprentie décoratrice —, mais je ne sais pas pourquoi, j’ai pensé à Kafka pendant le visionnage. Enfin si, je sais très bien pourquoi, on a l’impression que ledit héros — un cinéaste, c’est original — se retrouve tout au long du film prisonnier plus ou moins volontaire du lieu, où semble peut-être planer une atmosphère confusément malveillante, proprio intrusive et tracas de plomberie inclus. Au risque de passer pour un gros snob, continuons sur cette lancée références littéraires — nous avons une excuse, le film nous y incite, en introduisant un personnage secondaire répondant au sobriquet de Jules, en hommage à ’’son écrivain préféré’’.

Oui mais, quel Jules, s’interroge-t-on. Le premier qui vient à l’esprit est sans doute Jules Verne, mais le problème est qu’on a du mal à voir le rapport. La fille du héros nous met cependant la puce à l’oreille, lorsqu’elle informe son interlocutrice que derrière son abord bonhomme, pour ne pas dire benoît, son père est rusé comme ’’un renard’’. Eurêka, des types comme ça, voyageurs astucieux, prisonniers de multiples Circés qui ne leur veulent pas toujours que du bien, vous n’êtes pas sans savoir comment s’appelle leur prototype — partant, il n’est pas difficile de voir le lien entre le poème d’Homère et les œuvres de Verne, dont le capitaine Nemo emprunte le nom qu’Ulysse choisit pour se présenter à Polyphème.

Introduction s’intéressait plutôt à la jeunesse, Walk Up est davantage centré sur les personnages d’âge mûr — celui où les conflits sont gommés, car on est passé maître dans l’art du compromis, mais aussi celui où on a abandonné pour de l’argent une part de ses idéaux, où on se fatigue plus vite, et où on se demande si on ne préférerait pas être seul et dormir.

Les films de Hong Sang-soo se suivent et se ressemblent, et ici, outre la durée, pour une fois tout ce qu’il y a de standard (97 minutes), ces considérations livresques constituent une nouveauté dans l’habituel, même si c’est peut-être uniquement dans ma tête — mais les amateurs savent à quel point ce cinéma se construit justement dans la tête du spectateur, chose que les dialogues s’amusent à rappeler à qui veut bien l’entendre. L’une des Circés indique ainsi au cinéaste que ses films lui plaisent car ils ’’ne l’irritent jamais’’, et qu’elle aime ’’les regarder un peu, en buvant un peu’’. Une autre, qu’elle est au contraire extrêmement concentrée devant — ce qui est le cas de votre humble serviteur, qui croit dur comme fer que le moindre détail compte, gag automobile à base d’Austin Mini inclus.

Observons de plus près, le film est découpé en quatre parties. Il y a la première, où la proprio rencontre père et fille. La suivante, qui semble d’abord être une variation inexplicable de la même action, type Matins calmes à Séoul — avant qu’on comprenne qu’elle se déroule quelques mois plus tard. La suivante, où le père a emménagé avec une locataire de l’immeuble. La suivante, où il a encore déménagé, etc. À la fin, on se demande si le héros a gravi les étages de l’immeuble (Walk Up) façon Odyssée de la Life, ou s’il n’a fait que se raconter tout ça, et se réveille soudain de son rêve (Wake Up). Entre-temps, les questionnements éthylo-éthiques avec un grand A — l’art, l’argent, l’âge —, qui font la teneur des conversations faussement improvisées des personnages, ont passionné le public conquis d’avance que se flatte d’être votre humble serviteur.

Concluons avec le noir et blanc numérique de l’image, qui évoque Introduction, dont les deux jeunes acteurs évoluent à la périphérie de l’intrigue de Walk Up — apprenez que le fameux Jules est le sosie de votre humble serviteur quand il était au collège, coupe au bol et lunettes comprises. Introduction s’intéressait plutôt à la jeunesse, Walk Up est davantage centré sur les personnages d’âge mûr — celui où les conflits sont gommés, car on est passé maître dans l’art du compromis, mais aussi celui où on a abandonné pour de l’argent une part de ses idéaux, où on se fatigue plus vite, et où on se demande si on ne préférerait pas être seul et dormir. Angoisses intimes de Hong, sur le rythme soutenu de production duquel les tracas de plomberie semblent pourtant n’avoir que peu de prise.

5

RÉALISATEUR : Hong Sang -soo 
NATIONALITÉ :  coréenne du Sud 
GENRE : drame 
AVEC :  Hae-hyo Kwon, Hye-Young Lee, Mi-so Park
DURÉE : 1h37 
DISTRIBUTEUR : Capricci Films 
SORTIE LE 21 février 2024