Viens je t’emmène : éloge de la diversité

Le cinéma de Guiraudie est important pour moi, en particulier pour une raison peut-être un peu négative, en tous cas un peu spéciale, que je vais tâcher de vous expliquer. La première fois que j’ai vu un de ses films, ce devait être Du soleil pour les gueux (2001), je m’étais fait copieusement engueuler par un ami qui m’avait accompagné et qui était sorti de la séance en éructant, C’est quoi ton film de merde là. Sa colère semblait profonde et m’avait heurté. Pas parce qu’en ce qui me concerne, j’avais aimé le film, mais parce que je ne comprenais pas le raisonnement qui pouvait amener autrui à me tenir comme responsable de son déplaisir. Puis j’avais mis l’incident sur le compte de l’ignorance — c’est vrai que le film, quoique court, était raide pour un spectateur, disons, non averti —, et j’étais passé à autre chose. Cependant, une dizaine d’années plus tard, à un moment difficile où j’aurais eu besoin de son soutien, cet ami, loin de m’aider, s’est détourné, et même plus s’est à nouveau fâché contre moi, cette fois définitivement, pour un motif bien plus grave qu’une divergence esthétique. Je me suis rendu compte que cet ami était au fond un gros réac moralisateur. Les films de Guiraudie, filtre à cons ? Voire.

Il semble que celui-ci soit plus mineur que les immenses Inconnu du lac ou Rester vertical. Mais que veut dire mineur, se demande-t-on en se souvenant du dernier Moretti, Tre Piani, avec lequel Viens je t’emmène partage la singularité d’être un film de voisins d’immeuble. Restons modestes, j’ai aussi pensé au dernier Podalydès, il y a un côté feelgood movie sur un sujet a priori pas drôle (là, l’obsolescence des quinquas dans la start-up nation, ici, le terrorisme). Pour tout vous dire, j’ai envie de parler de vaudeville 2.0, dans le sens où les situations sont celles du théâtre de boulevard (Ciel, mon mari et autres sempiternels coups de sonnette interrompant la énième tentative de coït du héros), mais d’une part, ces situations opèrent hors-sol, c’est-à-dire non pas au sein d’une société bourgeoise, mais parmi un assemblage hétéroclite de personnages plus ou moins atypiques. D’autre part, elles se heurtent au contexte tragique d’un attentat, générateur d’anxiété et donc de méfiance, et donc de racisme, merci BFMTV.

Une sorte d’éloge de la diversité, dans le sens où ce sont les tiraillements et les empêchements qui l’accompagnent qui font le prix de la communauté.

Guiraudie était présent à la projection, cependant j’ai trouvé qu’il restait sur la réserve face au public ivryien, lui-même timide. Il a quand même lâché une référence (outre Carpenter, auquel on pense forcément lors d’une scène d’assaut, mais sur le mode de la blague) : les early Almodóvar. Que je ne connais pas, d’ailleurs. Quoi qu’il en soit, il y aurait tant de choses à dire sur le film. Primo, le charme étrange des décors, Clermont-Ferrand, ses tramways et sa statue de Vercingétorix, sa cathédrale, ses immeubles ingrats, ses axes routiers rectilignes, sa banlieue pavillonnaire, et soudain, un hôtel de passe au réceptionniste lynchien. Secundo, le caractère incertain voire changeant des personnages (bon, méchant, hétéro, homo, désirant, désiré, raciste, racisé), auquel répond l’élasticité du récit, qui m’a semblé à la fois très écrit et sans excessive rigueur. Mais ne nous attardons pas, sachez que ça m’a fait beaucoup rire, et c’est là l’essentiel.

Concluons sur un détail, figurez-vous que je me suis interrogé sur la valeur des gros plans un peu abrupts qui émaillent le film. En écoutant l’artiste parler, je me suis dit que ces plans traduisaient tout bêtement son amour pour les comédiens, tous excellents. Mais à y réfléchir j‘interprète aussi ces apparitions heurtées de visages comme le fixateur d’une sorte d’éloge de la diversité, dans le sens où ce sont les tiraillements et les empêchements qui l’accompagnent qui font le prix de la communauté.

3.5

RÉALISATEUR :  Alain Guiraudie 
NATIONALITÉ : française 
AVEC : Jean-Charles Clichet, Noémie Lvovsky, Iliès Kadri
GENRE : Comédie
DURÉE : 1h40
DISTRIBUTEUR : Les Films du Losange 
SORTIE LE 2 mars 2022