Une enfance allemande – Île d’Amrum, 1945 : l’enfance d’un chef

Fatih Akin, cinéaste allemand d’origine turque, est surtout connu pour ses films des années 2000 qui ont tous remporté des prix majeurs dans des les plus grands festivals internationaux de cinéma : Head-on, Ours d’or à Berlin en 2004, De l’autre côté, Prix du scénario à Cannes en 2007 et Soul Kitchen, Grand Prix à la Mostra de Venise en 2009. Certains lui prédisaient un grand avenir. Plus de vingt ans après Head-on, son premier grand succès, Fatih Akin a surtout connu un grave échec (The Cut, 2014) qui semble avoir coupé net son élan et permis à Diane Kruger de remporter son unique prix d’interprétation à Cannes dans un film contesté et contestable, In the fade (2019). Par conséquent, la sortie d’Une Enfance allemande représente l’occasion idéale de faire le point sur un des cinéastes les plus prometteurs de sa génération.

Printemps 1945, sur l’île d’Amrum, au large de l’Allemagne. Dans les derniers jours de la guerre, Nanning, 12 ans, brave une mer dangereuse pour chasser les phoques, pêche de nuit et travaille à la ferme voisine pour aider sa mère à nourrir la famille. Lorsque la paix arrive enfin, de nouveaux conflits surgissent, et Nanning doit apprendre à tracer son propre chemin dans un monde bouleversé.

on ne sait pas à la vision du film s’il s’agit d’un assagissement provisoire, dû à l’hommage rendu à son ami Hark Bohm, ou définitif, signe de maturité ou de vieillissement accéléré de son style.

Une Enfance allemande est un projet atypique dans l’oeuvre de Fatih Akin car à l’origine, il s’agit d’un projet autobiographique de Hark Bohm, ami et mentor du cinéaste, réalisateur, scénariste et acteur en particulier chez Rainer Werner Fassbinder. Ce dernier avait pensé le réaliser lui-même, avant d’y renoncer sous l’effet de la maladie et de le confier à Fatih Akin. C’est donc un projet très personnel, concernant les souvenirs d’enfance de Hark Bohm, mais pas vraiment pour Fatih Akin qui a surtout mené à bien le projet de son ami, en guise d’hommage. A un moindre degré, la démarche est un peu similaire à celle de Robin Campillo finissant par réaliser Enzo, coscénarisé avec Laurent Cantet. Une Enfance allemande a ainsi été présenté en mai au dernier Festival de Cannes, dans la sélection Cannes Première, avant que Hark Bohm ne décède des suites de sa longue maladie en novembre 2025.

Connaissant tous ces détails, il est facile de comprendre pourquoi le style de Une Enfance allemande paraît aussi différent de celui habituel de Fatih Akin : plus poétique, sage, académique ; moins punk, agité, décoiffant. De loin, le film ressemble à Une Vie cachée de Terrence Malick, sans jumpcuts : une esthétique léchée, composée de plans superbes, magnifiés par une sublime photographie, mais, contrairement à Malick, comme filmés au ralenti, de manière atone, dépourvu de rythme.

La photographie est en effet le point fort du film, au point qu’on s’ébahit régulièrement devant ces plans-tableaux qui, là aussi, contrairement à chez Malick, laissent tout le temps de la contemplation au spectateur. Chez Malick, la beauté est fugitive, éphémère, et ne se laisse pas capturer. Chez Akin, elle s’offre spontanément, automatiquement, au point de perdre tout mystère. Thématiquement, le film participe d’un mouvement récent consistant à filmer du côté des bourreaux, comme dans La Zone d’intérêt. Mais alors que Jonathan Glazer s’était bien gardé de partager les sentiments du gardien du camp de concentration et de sa famille, en les filmant précautionneusement de manière distanciée, Fatih Akin n’hésite pas à franchir la ligne jaune, en s’installant délibérément dans la tête d’un jeune garçon, membre des Jeunesses hitlériennes.

La fin de la guerre est proche. La radio nous apprend d’ailleurs la mort d’Hitler dans son bunker. N’empêche, tout est fait pour que nous sympathisions avec cette jeune tête blonde qui ne se rend pas compte de l’horreur nazie à laquelle il participe. Tout le film repose ainsi sur ce décalage entre ce regard candide d’enfant et l’atrocité du régime nazi que nous connaissons en tant que spectateur et citoyen d’aujourd’hui. Malheureusement c’est la seule véritable idée du film, ressort un peu trop mince pour nous tenir en haleine pendant tout un long métrage, en dépit de la qualité de la photographie et de l’interprétation (remarquable Jasper Billerbeck en Nanning, le gamin du film). Pour information, Diane Kruger ne tient qu’un second rôle dans le film.

A la décharge de Fatih Akin, on ne sait pas à la vision du film s’il s’agit d’un assagissement provisoire, de circonstance, dû à l’hommage rendu à son ami Hark Bohm, ou définitif, signe de maturité ou de vieillissement accéléré de son style. Alors punk un jour, punk toujours?

2.5

RÉALISATEUR : Fatih Akin 
NATIONALITÉ : allemande
GENRE : drame, guerre
AVEC : Jasper Billerbeck, Laura Tonke, Diane Kruger
DURÉE : 1h33
DISTRIBUTEUR : Dulac Distribution
SORTIE LE 24 décembre 2025