Dixième film déjà pour Paul Thomas Anderson à l’âge de 55 ans, Une bataille après l’autre se révèle être très attendu en raison des succès critiques pharamineux de ses précédents films, en particulier Phantom Thread *et Licorice Pizza. Trois à cinq ans séparent chacun de ses films, ce qui permet d’en faire à chaque fois un événement cinématographique. L’attente est d’autant plus forte pour ce film car PTA (nous userons parfois de cet acronyme affectueux et bien pratique) dispose pour la deuxième ou troisième fois d’une distribution prestigieuse. En effet, un casting de grande classe réunit dans Une bataille après l’autre Leonardo DiCaprio, Sean Penn, Benicio del Toro, Regina Hall qui entourent les deux immenses révélations, Teyana Taylor et Chase Infiniti dans le rôle de la mère et de la fille de l’histoire. Il faut peut-être remonter à The Master ou Inherent vice pour retrouver une distribution aussi attractive. Ce faisant, Une bataille après l’autre ressemble fort à un blockbuster, d’autant plus que PTA, tout comme Darren Aronofsky (Pris au piège), s’essaie pour la première fois au film d’action et à la comédie. Pourtant ce serait mal connaître PTA que de croire qu’il se reposerait sur ses lauriers, un casting solide et ultra-célèbre ou des genres bien plus populaires que ceux dont il a l’habitude, et qu’il ne chercherait pas à imprimer sa marque, à savoir un style et des préoccupations très personnelles. Ce faisant, Une bataille après l’autre remplit parfaitement son cahier des charges de comédie ou de film d’action, sert également de véhicule très performant pour ses stars-acteurs (DiCaprio, Del Toro, Penn se réinventent à tour de rôle) ou ses découvertes mais se confronte surtout au grand sujet de Paul Thomas Anderson, l’Amérique, ses illusions et ses utopies, ses certitudes et ses contradictions.
Ancien révolutionnaire désabusé et paranoïaque, Bob (Leonardo DiCaprio) vit en
marge de la société, avec sa fille Willa (Chase Infiniti), indépendante et pleine de ressources. Quand son ennemi juré (Sean Penn) refait surface après 16 ans et que Willa disparaît, Bob remue ciel et terre pour la retrouver, affrontant pour la première fois les conséquences de son passé…
On peut donc tout à fait légitimement se demander si, de cette génération de cinéastes américains apparus dans les années 90, (Tarantino, Fincher, James Gray, Christopher Nolan, Darren Aronofsky, Wes Anderson), Paul Thomas Anderson ne serait pas finalement le plus constant, le plus profond, le plus brillant.
Dans Une bataille après l’autre, le point important est sans doute le fait que le film est inspiré par Vineland, l’un des romans de l’écrivain culte Thomas Pynchon, comparé aux romanciers les plus importants de son époque, tels Philip Roth ou Cormac McCarthy. Déjà familier de l’univers bordélique et foutraque de Pynchon, étant donné son adaptation antérieure de Inherent vice, PTA s’est montré cette fois plus raisonnable et n’a pas essayé de transposer la totalité proliférante du roman mais s’est contenté de prélever les éléments qui entraient en résonance avec lui.
Derrière les éléments attractifs pour le grand public (le casting, le film de genre), se cachent donc d’autres lignes de force bien plus importantes : l’état de l’Amérique et la relation père-fille. Le film entrelace ces deux thématiques de manière quasiment insécable. Au début du film, on ne sait pas exactement à quelle date on se trouve. Mais l’état d’esprit est à la révolution, via la défense des immigrés, des femmes, des minorités en général. La première heure relatant à toute vitesse l’histoire d’amour et de militance révolutionnaire de Bob Ferguson et de Perfidia Beverly Hills semble s’autozapper toute seule, tant les événements se bousculent à la vitesse de l’éclair : Perfidia tombe enceinte de Bob ; elle accouche quelques plans plus tard. Ensuite Perfidia disparaît mystérieusement et seize ans se passent. Contrairement à la construction du roman qui fonctionnait par flash-backs assez réguliers, le film traite de manière claire la romance révolutionnaire de Perfidia et Bob et seulement ensuite la relation père-fille, assez conflictuelle, entre Willa et Bob.
A travers cette substitution de relations, Paul Thomas Anderson n’hésite pas à commenter l’état de l’Amérique : les grands élans révolutionnaires des années 60-70 provenant de la pensée beatnik et hippie puis l’ordre et le militarisme qui noircissent le tableau par des groupuscules de suprémacistes blancs, et enfin les tentatives pour faire naître un nouvel esprit révolutionnaire, distinct du précédent. Il serait difficile de ne pas voir dans Une Bataille après l’autre un miroir plus ou moins déformant de la société post-hippie des Etats-Unis (le personnage de DiCaprio renvoyant au Dude de The Big Lebowski des frères Coen) ainsi que du trumpisme triomphant (en particulier via le personnage d’antagoniste de Sean Penn), et donc à l’arrivée d’une Amérique fondamentalement divisée.
Par conséquent, PTA revient à son grand sujet, c’est-à-dire comment l’Amérique se constitue et se divise, thème déjà évoqué dans Boogie nights, Magnolia, There will be blood ou The Master. Entre retour du refoulé (l’ultra-droite) et l’utopie généreuse (l’anarchisme de gauche), comment l’Amérique peut-elle intégrer son passé tout en préparant son avenir, tel est le dilemme de Paul Thomas Anderson dans Une Bataille après l’autre. L’originalité provient du fait qu’il le traite à travers le film de genre et non par le biais du drame psychologique, comme il a souvent l’habitude de le faire. Le parallèle avec Aronofsky s’avère intéressant car tous les deux, après avoir été plutôt graves, dans leurs films antérieurs, considèrent de manière synchrone que le monde, en ces temps plutôt funestes, a en fait besoin de rires et de drôlerie. PTA le constate, tout comme Aronofsky, en ne reniant rien de leurs préoccupations profondes. Mais surtout, dans Une Bataille après l’autre, l’important, c’est qu’il s’agit à l’évidence d’une déclaration d’amour d’un père à sa fille (PTA a trois filles et un garçon de son union avec Maya Rudolph), ce qui en fait, malgré les apparence, un film éminemment personnel. La transmission, le lien affectif, l’héritage, telles sont les préoccupations qui innervent ce dixième long métrage du metteur en scène. Le caractère hors norme du long métrage (une durée de 2h42) en fait une fresque romanesque qui excède les genres, les limites, les figures de style. Pendant dix films, PTA a manifesté une intransigeance admirable dans son oeuvre, en exprimant avant tout ses thématiques et préoccupations, et contrairement aux apparences, Une Bataille après l’autre, bien qu’étant son oeuvre a priori la plus chère et la plus commerciale (140 millions de dollars de budget), ne déroge aucunement à cette règle. On peut donc tout à fait légitimement se demander si, de cette génération de cinéastes américains apparus dans les années 90, (Tarantino, Fincher, James Gray, Christopher Nolan, Darren Aronofsky, Wes Anderson), Paul Thomas Anderson ne serait pas finalement le plus constant, le plus profond, le plus brillant.
RÉALISATEUR : Paul Thomas Anderson NATIONALITÉ : américaine GENRE : action, comédie AVEC : Leonardo DiCaprio, Sean Penn, Benicio del Toro, Teyana Taylor, Chase Infiniti, Regina Hall DURÉE : 2h42 DISTRIBUTEUR : Warner Bros Pictures France SORTIE LE 24 septembre 2025