Autrice-actrice américaine de 31 ans, Eva Victor s’est surtout fait connaître par sa participation à des séries (Billions, Super Pumped) et par le partage durant le confinement de petites vidéos humoristiques sur Twitter qui ont affolé la Toile. Rien pourtant ne laissait présager qu’elle ferait un jour à Cannes la clôture de la Quinzaine des Cinéastes avec son premier film, Sorry, baby. jolie réussite dans le registre de l’expérience thérapeutique, maniant avec doigté la distanciation et l’humour ravageur. Déjà présenté à Sundance en début d’année, il y a reçu le Prix Waldo Salt du meilleur scénario. A Cannes, les observateurs ont reconnu la maturité du regard d’Eva Victor qui a su faire d’une expérience traumatique le tremplin vers une expression artistique et le début d’une reconnaissance d’un talent.
Quelque chose est arrivé à Agnès. Tandis que le monde avance sans elle, son amitié avec Lydie demeure un refuge précieux. Entre rires et silences, leur lien indéfectible lui permet d’entrevoir ce qui vient après.
Sorry, baby montre à quel point le processus de résilience et de guérison d’un évènement traumatique douloureux peut se montrer long, difficile mais aussi à l’arrivée réconfortant.
Même si Eva Victor préfère ne pas s’appesantir sur son expérience autobiographique et laisser un voile de mystère entre la fiction et le vécu, il ne fait guère de doute que l’histoire de son premier film s’inspire fortement d’un événement qui lui est réellement arrivé. D’une certaine manière, Sorry, baby, c’est un peu son « Agnes (nom de sa protagoniste qu’elle interprète elle-même) en quatre chapitres », à la différence notable que, contrairement à la Julie de Joachim Trier qui ne sait quoi faire, du fait d’une prédisposition chronique à l’instabilité, Agnes est laissée à son indécision suite au trauma profond qui est survenu dans sa vie.
Contrairement au film de Trier, découpé en douze chapitres qui se succèdent de manière linéaire, Sorry, baby est volontairement raconté dans le désordre, le deuxième chapitre remontant à la source de l’événement traumatique ayant bouleversé la vie d’Agnes et s’intercalant entre deux visites de Lydie (Naomie Ackie), enceinte, puis ayant accouché, à son amie de faculté. [ATTENTION SPOILER] Agnes a en fait été séduite puis violée par son directeur de thèse, professeur de littérature, avec qui elle travaillait sa soutenance. Eva Victor contourne l’événement en choisissant de ne pas le filmer, mais de le faire deviner. Elle se contente de filmer l’extérieur de la maison du professeur, en plein jour puis le soir, pour faire comprendre que le temps a passé, couvrant un événement innommable.
La discrétion stylistique d’Eva Victor reste la même, avant et après l’événement, car il faudra deviner par des gestes (des mains qui se serrent sous une table) ou au détour d’une réplique ce qui a pu se passer. Eva Victor choisit une stratégie de contournement qui préfère ne pas énoncer les choses telles qu’elles sont mais tourner autour d’elles, afin de rendre le choc moins violent, de l’amortir pour la sensibilité de la victime. Elle rejoint en cela d’autres films tournés par des femmes, aftersun de Charlotte Wells, par exemple, qui repose également sur un lourd secret qui est effleuré sans être véritablement révélé.
De plus, Eva Victor possède une arme redoutable pour mettre à distance le drame et permettre l’enclenchement d’un processus de guérison, un humour irrésistible. Les répliques hilarantes abondent, ce qu’on n’attendait pas forcément d’un drame sur une agression sexuelle. Eva Victor excelle pour, au détour d’une réplique, relâcher la tension et déclencher les rires (la séquence de la sortie de baignoire de Lukas Hedges). Elle parvient avec une réelle maestria à doser les moments de recueillement (la rencontre avec John Carroll Lynch qui réapprend à Agnes comment respirer, la conversation finale avec le bébé de Lydie) et les instants plus ludiques ou satiriques, ce qui est très rare et méritoire de la part d’une jeune cinéaste.
En définitive, Sorry, baby montre à quel point le processus de résilience et de guérison d’un évènement traumatique douloureux peut se montrer long, difficile mais aussi à l’arrivée réconfortant. Car il permet de mieux s’armer contre le monde, et de lui faire face avec dignité et humanité.
RÉALISATRICE : Eva Victor NATIONALITÉ : américaine GENRE : drame AVEC : Eva Victor, Naomi Ackie, Louis Cancelmi, Kelly McCormack, Lucas Hedges DURÉE : 1h44 DISTRIBUTEUR : Wild Bunch SORTIE LE 23 juillet 2025