Arizona Distribution

Simón de la montaña : être ou ne pas être

Si la société argentine, viciée par une économie instable, semble bien en peine depuis des décennies, endurant coup d’État, dictature et grave crise économique à la fin du siècle passé, elle semble sous une nouvelle tension depuis l’arrivée au pouvoir de Javier Milei. Pour autant, le cinéma argentin, fragilisé pour ne pas dire saboté, tient une place de choix sur nos écrans depuis au moins ces deux dernières années avec des propositions uniques : Trenque Lauquen, Eureka, Los Delicuentes entre autres. Des films de cinéastes rôdés à l’exercice auxquels nous pouvons ajouter l’arrivée de nouveaux visages (trois films argentins sont présentés cette année à Cannes) comme celui de Federico Luis qui, déjà remarqué par la sélection de son court-métrage La Siesta en 2019 en sélection officielle des courts-métrages cannois, présente Simón de la montaña à La Semaine de la Critique en 2024. Sans prendre de grands risques, nous pouvons avancer que nous avons assisté à l’acte de naissance et de résistance d’un cinéaste devant un pays qui écrase les plus faibles et les plus fragiles. Comme le dit l’intéressé :“Ça a été une lutte de créer ce film.” 

Simón est un Argentin de vingt-et-un ans qui tente de s’intégrer à un groupe de jeunes en situation de handicap dans le dos de ses parents. 

Simón de la montaña emporte un panache d’émotions authentiques qui nous porte, dans un double mouvement, au-delà des Andes et au plus profond de nous-même.

Dans la Cordillères des Andes, le vent souffle fort. Aux désagréments des forces naturelles des lieux comme sa géographie pentue et la férocité du Zonda (foehn argentin), s’ajoutent les difficultés motrices d’un groupe de jeunes adultes perdus dans ces montagnes. Ils tentent, tant bien que mal, de se rejoindre au pied d’une statue du Christ, sans réseau téléphonique pour obtenir la moindre aide. Simón (Lorenzo Ferro) se hisse à la hauteur du corps du Christ pour atteindre un signal. D’en bas, les visages difformes attendent une bénédiction. Cette ouverture remarquable d’un cinéma qui grouille est phagocytée par le hourvari du vent et la poussière blanche.

La bande est sauvée. Simón s’intègre à cette dernière par l’intermédiaire de Pehuén (Pehuén Pedie), qu’il suit, accompagne au centre, à la piscine, dans les jeux qu’ils investissent comme le cache-cache ou le théâtre. En étant celui qui entend – il intercepte des discussions avec un sonotone emprunté – et qui voit – il doit couvrir Pehuén lors d’un acte sexuel dans les vestiaires des filles – Simón devient notre intermédiaire. S’il regarde l’acte en train de se réaliser plutôt que de couvrir ses amis, c’est qu’ici, au centre, avec ce groupe, Simón éprouve un désir qu’il ne retrouve pas au sein de sa famille. Lors d’une scène à bascule qui arrive relativement tôt, on comprend à la convocation du directeur de l’établissement, lui aussi doté d’une voix anormale, que Simón et Pehuén ne sont amis que depuis trois semaines et que Simón n’est pas détenteur d’un certificat de handicap.

Dans sa famille reconfigurée, Simón se fait réprimander lorsque la supercherie est découverte. “Arrête Simon ! Tu te moques de ces gens-là.” Pour autant, Simón continue d’alterner avec ces deux mondes, celui d’une famille froide où s’embrasser devient un acte obligé et celui de jeunes adultes, handicapés moteurs, mentaux, cognitifs ou psychiques, avec lesquels il fait les quatre cents coups trouvant en la personne de Pehuén, une figure exemplaire. Leur complicité burlesque fonctionne d’abord comme un buddy movie avant que Simón ne s’ouvre davantage à Klara (Kiara Supini) pour une possible relation amoureuse. “Plus tu fais l’idiot, mieux c’est.” lui dit Pehuén. Les deux ne s’en privent pas, même si Simón est régulièrement rattrapé par la norme familiale. S’ensuit un affranchissement, une scène de conduite accompagnée d’un fourgon volé, une session de luge à ciel ouvert dans les tiroirs d’un meuble décharné.

Roméo et Juliette, c’est pas pour les enfants.” Et si son beau-père n’est pas prêt à l’entendre, Simón navigue entre deux mondes, sans jamais que le film nous dise s’il joue ou s’il finit par devenir celui qu’il choisit d’être. Simón de la montaña égrène les hypothèses : serait-ce par perversité, par opportunisme pour profiter d’avantages et d’allocations ? Peut-être qu’une réponse se trouve au cœur de ce dialogue tenu dans une salle de cinéma entre Pehuén et Simón : “Quand tu prends une montagne de médocs, tu te fous de tout. Tu peux tuer quelqu’un sans t’en rendre compte.” Une brèche affective s’ouvre lorsque l’on comprend, peut-être, que Simón préfère tuer l’enfant qu’il était, étouffer sa normalité factice au sein d’une famille qui le fait souffrir, le regarde comme un monstre – « Arrête de filmer ou je te tue » dit Simón à son beau-père – pour s’inscrire pleinement là où il se sent bien, à l’intérieur d’une communauté nouvelle peignée avec malice, générosité et impolitesse.

Si on ne voudrait que peu appuyer sur le seul reproche que l’on pourrait faire à ce premier long-métrage – sa mise en scène fatigante faite de grésillements et de mouvements parasites, comme pour mieux coller aux mouvements et aux turpitudes de Simón – c’est que ce dernier, comme le continuum venteux de la première scène, emporte un panache d’émotions authentiques qui nous porte, dans un double mouvement, au-delà des Andes et au plus profond de nous-même. 

3.5

RÉALISATEUR : Federico Luis
NATIONALITÉ : argentine
GENRE : drame
AVEC : Lorenzo Ferro, Kiara Supini, Pehuén Pedie
DURÉE : 1h38
DISTRIBUTEUR : Arizona Distribution
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